La créature de Frankenstein est libre de toute contrainte sociale. Elle peut admirer les paysages, se fondre dans la Nature, apprendre et s'émerveiller. Mais cette liberté n'est qu'un leurre. En effet, la créature est prisonnière de la solitude, un isolement imposé par la peur et le rejet des autres. Bien qu'intelligente et sensible, elle est exclue de l'humanité à cause de son apparence, la condamnant à une existence de souffrance.
J'ai longtemps cru que Frankenstein était l'histoire d'un scientifique mégalomane qui avait joué à Dieu et créé un monstre bête et incontrôlable. Cette vision, popularisée par les innombrables adaptations au cinéma (mon préféré reste celui de Mel Brooks), ne rend pas justice à la profondeur du roman de Mary Shelley. En réalité, selon mon opinion, c'est avant tout une tragédie, une réflexion sur la responsabilité, le rejet, et surtout sur les conséquences de nos actes.
Victor Frankenstein n'est pas seulement un scientifique qui transgresse les limites imposées par Dieu (à la manière de Prométhée), il est aussi un père totalement défaillant. Il crée un être avec ambition et exaltation, mais l'abandonne dès la naissance, incapable de faire face à la divergence qu'il a engendrée. La créature, innocente à sa naissance, est confrontée à un monde qui ne voit en elle qu'un monstre. Rejetée par son créateur et par l'humanité tout entière, elle est condamnée à l'exclusion et à la haine.
Qu'est-ce qui fait de nous des monstres ? Est-ce notre apparence, nos actes, ou le regard que les autres portent sur nous ? Si certains sociopathes sont carrément mauvais, la plupart de nos actes de violence sont stimulés par l'injustice, le rejet et la souffrance. La créature n'est pas née maléfique. Elle a été façonnée d'abord par un homme qui n'assume pas, puis par une société qui la déteste. le fait d'ailleurs de l'appeler « monstre », tandis que nous écoutons son histoire après l'abandon de Victor, ne correspond pas à l'image d'un monstre. Ce n'est pas le personnage que Boris Karloff a incarné pendant des années, attribuant à la créature les traits que Victor lui voyait en elle. Comme si les adaptations n'avaient pas compris le message, ou avaient choisi délibérément de déformer la réalité pour susciter la peur (faire du fric quoi). Boris Karloff montre le monstre tel que tout le monde le voyait, mais celui de Shelley n'est pas ce monstre-là.
Et Victor dans tout ça ? Victor est une boule de culpabilité. Mais il ne se culpabilisera jamais d'avoir abandonné sa créature. Jamais. Il regrette seulement d'avoir volé le feu des Dieux.
Mary Shelley ne nous donne pas de réponses faciles. Elle nous invite à réfléchir sur des questions profondes : les limites de la science, la responsabilité envers nos créations, et les conséquences de l'abandon.
En refermant ce roman, ce n'est pas le monstre que je retiens, mais celui qui l'a façonné, qui lui a donné le nom de monstre avant qu'il n'en soit réellement un.