Fratelli Tutti
7.2
Fratelli Tutti

livre de Pape François (2020)

Fratelli tutti est une lecture curieuse, voire dérangeante, qui suscite l’ire de certains et l’approbation surprenante d’autres. Mais, en bousculant les certitudes et en semant de l’intranquilité, le Pape n’est-il pas dans son rôle ? Pour l’essentiel, cette encyclique reprend des interventions précédentes. Elle peut être comprise comme une synthèse testamentaire de sa pensée. Je ne développerai que quelques points.


1 – Ce texte ne s’adresse pas au troupeau des catholiques, mais aux hommes de bonnes volontés. Le dogme, les sacrements et l’institution sont mis de côté. Non pas qu’il les néglige, mais ce n’est pas le sujet. Les catholiques se reporteront à ses sermons dominicaux.


2 – Il porte sur la fraternité universelle, chère à Charles de Foucault. Il n’y a qu’un seul Dieu. Tous les enfants de Dieu, quelles que soient leurs traditions religieuses ou philosophiques, sont frères. Seule la fraternité apportera la paix au monde.
La fraternité délégitime la peine de mort et le vieux concept, que nous devions à saint Augustin, de guerre juste.
La fraternité limite le droit à la propriété privée, un droit naturel secondaire de la destination universelle des biens. Le riche a la charge des pauvres. Par extension, le pays fortuné est responsable des pays déshérités.
Cette charité universelle est-elle si naturelle à l’homme ? J’en doute. La plupart des traditions la réservent aux frères de sang ou de croyance. L’étranger ou l’ennemi en est « naturellement » exclu. Seul le Christ nous appelle à aimer nos ennemis.


3 – Le point gâchette : la migration.
Un intérêt partagé. Le Pape propose un long développement sur les bienfaits rationnels de l’ouverture : « les ponts plutôt que les murs ». La cité ouverte s’enrichit des différences. La cité fermée périclite. Il ne nie pas l’importance des identités et des cultures, mais ne les fige pas.
Un principe moral. Le migrant est pauvre. Or le riche a le devoir inconditionnel et gratuit de protéger, de promouvoir et d’intégrer le migrant.
Il rappelle le droit à ne pas migrer, qui sous-tend que les pays riches aident les pays pauvres.


4 – Ce pape politique récuse l’opposition manichéenne libéral / populiste et réhabilite la valeur du travail.


5 – Plus classique, il fustige le relativisme et l’athéisme, dans lesquels il voit les causes du naufrage moral de nos sociétés : « lorsqu’au nom d’une idéologie, on veut expulser Dieu de la société, on finit par adorer des idoles, et bien vite aussi l’homme s’égare lui-même, sa dignité est piétinée, ses droits violés. Vous savez bien à quelles brutalités peut conduire la privation de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, et comment à partir de ces blessures se forme une humanité radicalement appauvrie, parce que privée d’espérance et de référence à des idéaux. »


6 – Plus anecdotique, le pape affectionne les formules mystérieuses qui stimulent l’intérêt de ses lecteurs. Aujourd’hui : « Le tout est supérieur à la partie, et plus aussi que la simple somme de celles-ci. » La sentence peut illustrer :
- La notion abstraite de bien commun : prêtons attention à la dimension globale, sans perdre de vue ce qui est local.
- La lutte contre l’individualisme.
- Les bienfaits de l’ouverture, fut-elle au migrant : « les différences coexistent en se complétant, en s’enrichissant et en s’éclairant réciproquement. »


P. S. : Pour le plaisir, d’autres sentences plus anciennes.
« L’unité prévaut sur le conflit. »
« La réalité est plus importante que l’idée. »
« Le temps est supérieur à l’espace ». Le temps file, il est dans la main de Dieu, tandis que cadre spatial est maîtrisable. Prenez garde à la tentation d’accorder trop d’importance à l’espace !

Step de Boisse

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