Lamia est algérienne. Elle vit dans un quartier assez peu reluisant de la capitale. Bien que médecin (spécialisée en pédiatrie), elle est une femme vivant dans une société musulmane en cours de radicalisation. Cette existence, déjà pas simple, est encore aggravée par la personnalité forte de cette maîtresse femme. Car Lamia vit seule à 36 ans. Elle n’a pas pris d’époux, n’a pas confié sa destinée à un barbu qui lui aurait immédiatement imposé le niqab. De plus, elle ne porte pas le voile et fait peu de cas de la religion. Quelle qu’elle soit.
Lamia n’est donc pas sur le devant de la scène. Elle préfère l’ombre de sa vieille maison et sa profonde solitude depuis la mort de ses parents et la fuite de son jeune frère qui n’a su résister aux chants des sirènes de l’émigration clandestine. Un an déjà que Sofiane est parti. Sofiane moisit-il dans un camp de migrants (appelés « harraga », du nom de tous ceux qui brûlent la route) aux portes de Ceuta ? A-t-il atteint l’Espagne ? Est-il seulement encore en vie ?
Lamia l’ignore et en souffre terriblement. Quand arrivent subitement les premières nouvelles de son frère : par l’intermédiaire d’une adolescente délurée venue sonner à sa porte, Lamia apprend que Sofiane est passé par Oran. Chérifa, quant à elle, va révolutionner la vie rangée de la vieille fille. Elle s’installe, emplit la grande maison de son parfum, de son bruit, de ses fringues rangées là où elles sont tombées.
Le premier réflexe de Lamia est de refouler l’importune, de sauvegarder coûte que coûte sa tranquillité. Pourtant, Lamia finit par se laisser séduire. Séduire par sa jeunesse, par sa fougue. Par cette vie que la jeune fille porte en elle (elle est enceinte de six mois). Mais Chérifa est fantasque. Elle sort, disparaît plusieurs jours sans prévenir, revient à son aise jouant sans douter avec les nerfs de Lamia.
A travers ses rapports avec la jeune fille, et grâce à la vie de sa maison multiséculaires, Lamia décrit la société algérienne. Car c’est bien une critique de l’Algérie dans laquelle s’est lancé Boualem Sansal. Son refus de l’autoritarisme, de l’ostracisme, son refus de l’islamisme, de la culture d’un seul livre. C’est aussi son refus de l’oppression des femmes. Son refus de la corruption qui gangrène tous les niveaux de l’état. Son refus des trafics et des combines en tout genre. Son refus de voir son pays s’enfoncer, ses monuments et institutions se délabrer. Son refus de la diaspora vidant le pays de sa jeunesse à laquelle plus aucun avenir n’est promis. Son refus des passeurs qui exploitent la misère humaine. Son refus des autorités qui s’en lavent les mains et laissent faire.
Harraga est un pamphlet, un livre coup de poing, une critique virulente du pouvoir en place. Boualem Sansal ne fait pas dans la dentelle. Ses propos n’ont rien d’ambigus, notamment contre l’islam qu’il nomme la « peste verte » métastasant partout dans le monde. « L’islam fabrique-t-il des croyants, des lavettes ou seulement des terroristes ? La réponse n’est pas simple, les trois peuvent être d’excellents comédiens » remarque-t-il en page 41 de l’édition Gallimard. Ses livres sont d’ailleurs interdits dans son pays.
L’écriture est toujours magnifique. Mais sans doute plus lyrique que dans « Le village de l’allemand » ou dans « Rue Darwin », livres plus tardifs. Dans « Harraga », sa prose est encore foisonnante, riche – sans doute un peu trop – et au final, un peu lourde. Un livre qui s’éparpille peut-être à l’excès tant l’auteur a de choses à dire. Les digressions sont nombreuses et peut-être pas toutes opportunes. Harraga est toutefois un livre à lire. C’est le livre d’un écrivain de grand talent. Le livre de quelqu’un qui sait de quoi il parle.
Une lecture très intéressante et instructive.