Henry Darger
7.9
Henry Darger

livre de Collectif ()

Pour se faire un avis sur ce catalogue d’exposition, comme sur la plupart des monographies présentant l’œuvre d’un artiste, à plus forte raison lorsqu’il existe peu d’ouvrages sur le peintre en question, il est difficile de faire le départ entre le mérite de l’artiste et le mérite des éditeurs – en l’occurrence, une dizaine de contributeurs réunis sous l’égide du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. À qui ne sait rien de Darger, figure de l’artiste brut, ou outsider et en tout cas maudit dont une partie des œuvres aura été sauvée in extremis de l’oubli et de la benne à ordures, quelques recherches sur internet apprendront l’essentiel. Je ne reviendrai donc pas dessus.
Je ne m’étends pas non plus sur le rapport que l’Art brut implique entre l’artiste et ses spectateurs / biographes / critiques – notamment la part de condescendance que ces derniers peuvent manifester (1). La question traverse implicitement tout le livre, analysée à quelques reprises, explicitement ou par ricochet ; la contribution d’Emmanuel Pernoud, « Le Retour de la chambre close », aborde ainsi le sujet en contextualisant les « deux types de récits légués par Darger : ceux qu’il imagina, ceux que l’on imagine à son sujet » (p. 32 ; peut-être même pourrait-on parler ici non pas de récits mais de mythologies, mais c’est une autre histoire).
L’ouvrage ne vise pas à l’exhaustivité, traitant d’un artiste dont la trentaine de mille pages de l’œuvre écrite n’est que partiellement publiée, et dont l’œuvre graphique peine à être ordonné. Henry Darger, 1892–1973 se compose principalement de trois grandes parties : une rapide biographie, une rubrique consacrée à l’œuvre de Darger (écrite puis graphique) sous forme de catalogue d’exposition, et un « Dictionnaire dargerien » qui situe et synthétise tout cela, l’ensemble pouvant être lu selon l’envie du lecteur, dans l’ordre ou en feuilletant. Une telle structure ne permet pas d’éviter les redondances, et évidemment, les analyses sont d’un intérêt variable, en fonction du contributeur qui les propose – j’en reviens à l’idée qu’en art, de grandes œuvres peuvent donner lieu à de pauvres interprétations (« Le monde, ainsi sublimé, devient une soupe où surnagent les choses, débris déchiquetés de l’oppression et de la colère », p. 225…), et de petites œuvres à de remarquables analyses. Mais tout vaut la peine d’être lu, au moins par curiosité.
Reste l’œuvre de Darger, que l’on peut pudiquement qualifier de reconnaissable entre toutes, comme on reconnaît dès sa première parole n’importe quelle composition de Daniel Johnston. Que cet homme ait été malade est évident, que sa technique soit rudimentaire est un euphémisme, que pourtant son œuvre prise dans son ensemble soit brillante me paraît incontestable.
Après je comprendrais parfaitement qu’on puisse ne pas adhérer à l’œuvre d’un homme que fascinaient uniformes et drapeaux, chez qui la pratique du décalque rivalise avec le dessin proprement dit, et qui représentait régulièrement des petites filles dotées de pénis…


(1) En fait, je crois que cette réflexion peut être élargie à toute analyse qu’un critique reconnu comme tel peut mener à propos d’un art qui n’est à l’origine pas défini comme tel : aussi bien Art brut que culture populaire, qui sous certains aspects se rejoignent. Ne pas oublier que les auteurs de Henry Darger, 1892–1973 considèrent que la célébrité de Darger dépasse désormais le petit cercle des amateurs d’art moderne…

Alcofribas
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le 5 mars 2018

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