Ou plutôt : sous le glamour, l'ignominie.


Hollywood Babylone ou la face cachée du rêve américain. Pas celui de la middle class mais celui des artistes conquérants, la tête pleine de rêves et, si Dieu le veut, des billets plein les poches une fois leur talent vendu au plus offrant. Pour autant, l'appât du gain est rarement évoqué comme une fin en soi : celui des projecteurs, du faste, voilà ce qui fait courir et chuter les victimes de cet ouvrage en forme d'épitaphe.


Naissance d'une nation et récit de ses premiers pas dans la débauche : Hollywood. Pas une bourgade, ni une ville, encore moins un pays mais une chimère, une terre promise. A une époque, c'est d'ailleurs Hollywoodland qui était brandi sur la fameuse colline avant que les quatre dernières lettres ne partent en poussière.


C'est de là-haut qu'avait décidé de se jeter Peg Entwistle, comédienne de son état, 24 ans au compteur. Une étoile filante parmi tant d'autres, et dont la mort symbolique en dit long sur les destins de ses camarades de jeu, vendeurs de rêve à la merci du qu'en-dira-t'on.


Olive Thomas, égérie des Ziegfeld Follies, est retrouvée empoisonnée dans une luxueuse chambre d'hôtel parisienne le 10 Septembre 1920.


Roscoe Arbuckle, dit Fatty, a un destin moins romantique. Simple aide-plombier dont le physique bonhomme et la bouille semi-ahurie tapent dans l'oeil de son employeur, le producteur Mack Sennett, qui l'embauche comme faire-valoir de ses comédies burlesques. Le rondouillard devient célèbre, gagne le coeur du public par son sens comique inné, mène la grande vie. Jusqu'à cette sordide affaire d'homicide où il aurait provoqué une rupture de la vessie chez une jeune-femme dont il voulait profiter des charmes lors d'une soirée trop arrosée. Piédestal en miettes. Réputation foutue. Méchante gueule de bois.


D'autres pages relatent le mariage forcé et hors frontières américaines entre Charlie Chaplin et la jeune Lillita McMurray, sa petite protégée de 16 ans qu'il mît enceinte. "Charlie et sa femme-enfant", titrèrent les journaux. Ailleurs, place est faite à la bouleversante Frances Farmer, grande gueule sublime en pleine ascension artistique qu'un marasme judiciaire conduira injustement d'un banal contrôle de routine à l'asile psychiatrique.


Au milieu de tout ça, on croise les papes de la presse à scandale de l'époque ou encore la naissance du fameux Code Hays, sorte de Dix Commandements de l'Amérique puritaine érigés à l'encontre de la cité du vice afin de censurer tout film sortant de ses studios dépravés...


Hollywood Babylone, c'est un tabloïd sur une table d'autopsie, le spectacle grotesque, touchant et impensable d'un microcosme grandiloquent qui se dévore de l'intérieur. Un coup de scalpel qui laisse une belle balafre sur le strass, les paillettes et tout ce qui a le malheur de briller un peu trop fort.


Les chapitres du bouquin parlent d'ailleurs d'eux-mêmes : "Héroïnes sous héroïne", "Babillage Babylone", "Viens voir Papa"... Des doutes, des regrets, du soufre et beaucoup de chagrin : voilà le mélange qui constitue la matière première de cette anthologie de ragots, compilation fluide de faits, d'anecdotes et d'affaires sidérantes. Rien de didactique ici, les pages s'enchaînant avec une cohérence et une lucidité qui font visiblement défaut à Hollywood la putain, illusion lointaine où beaucoup se sont brûlé les ailes.


Pas en reste, les photos qui émaillent cette virée express dans les coulisses de l'industrie jonglent adroitement entre portraits splendides de stars en pleine gloire et images qui sautent à pieds joints dans la réalité dont Hollywood Babylone se fait l'impitoyable témoin.


Le comble de l'ironie serait de voir ce bref mais captivant bouquin de cinéma adapté à l'écran. Sûr que l'auteur, le célèbre Kenneth Anger, en tirerait les images qui s'imposent : celles d'une folie expérimentale prise dans les filets d'une cage dorée où la tragédie s'impose en reine du bal.

Fritz_the_Cat
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le 7 oct. 2013

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