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Horace
7.4
Horace

livre de Pierre Corneille (1640)

Horace est considéré comme la première pièce tragique de Corneille, à la fois historique et politique, et surtout c'est son retour après la querelle du Cid, qui lui a laissé un mauvais goût à cause de l'accusation de plagiat et des règles non respectées que l'Académie française lui a reprochées. Dans Horace, Corneille utilise les guerres qui opposèrent Romains et Albains et dont parlait Tite-Live dans son Histoire de Rome depuis sa fondation, pour interroger la question de l'amour et du patriotisme ainsi que de l'honneur et de l'amitié. En effet, quatre personnages centraux sont au cœur du dilemme cornélien. Sabine, originaire d'Albe, est mariée à Horace, un noble Romain, tandis que Camille, sœur d'Horace, est fiancée à un noble Albain, Curiace, le frère de Sabine. Avec cette pièce, il continue également de questionner les rapports conflictuels de l'État et de l'individu, et marque également son adhésion aux idées politiques du Cardinal Richelieu, à qui il dédie la pièce, et à la défense de l'absolutisme sous le règne de Louis XIII. Horace interpelle aussi les notions de sacrifice, de guerre, d'héroïsme, d'amour et leur entrelacement complexe, notamment à travers le meurtre d'Horace contre sa propre sœur, après que celle-ci a trahi l'État romain en le maudissant à cause de la mort de son amant.

Horace est une pièce qui monte constamment en puissance, car, premièrement, elle se délaisse de toute explication de l'origine de la guerre entre Rome et Albe. Ainsi, l'œuvre démarre dans l'action directement : il y a un caractère fatalement inéluctable du conflit, qui est poussé notamment par la volonté des dieux. Rome doit triompher et naître une seconde fois pour imposer sa domination sur l'univers et, pour cela, elle doit tuer la mère, Albe. En effet, ce conflit en question est une guerre fratricide, appuyant sur la dimension tragique du récit, car les deux peuples ont un lien ancien et étroit : ils ont pour ancêtres communs les Troyens, et Rhéa Silvia, mère de Romulus, le fondateur légendaire de Rome, était la fille du roi d'Albe, Numitor.

Beaucoup ont questionné le geste meurtrier d'Horace, mais il faut bien comprendre que le personnage a une volonté patriotique et un idéal, car il incarne Rome avec toutes les contreparties et les responsabilités qui vont avec, c'est-à-dire celles de sacrifier ses amitiés et ses affections. Camille meurt, car sa haine et son désespoir pour le sort futur de Rome, qui va s'avérer être réel, sont graves. Ainsi, elle devient une Curiace, et Horace continue logiquement et de façon raisonnable, comme il le dit, de tuer les ennemis de Rome. Mais cela ne va pas sans un procès après coup, et ce procès sert à montrer une justice qui n'est plus celle du clan et de son chef, mais celle d'un État juridique : c'est donc de la naissance de Rome à l'Histoire et au droit dont parle la pièce. C'est l'intérêt politique et la raison d'État qui parlent, car Horace est bien trop utile pour celle-ci et se doit d'être vivant.

C'est pourquoi Horace est une œuvre assurément patriotique qui parle directement de son siècle. En effet, depuis quelques années, la France est en guerre contre l'Espagne et la maison d'Autriche, et cette guerre est semblable à celle entre Rome et Albe, car elles opposent deux pays qui sont voisins géographiquement, mais surtout deux histoires et deux cultures qui sont proches. Français et Espagnols sont deux pays catholiques dont la guerre arrange les États réformés d'Allemagne et, de ce fait, beaucoup de Français ne comprennent pas cette guerre, car elle pourrait affaiblir le catholicisme en Europe. Il faut donc un ministère plus efficace et une meilleure pratique morale, quitte à ce qu'elle soit dure, pour sauver ce qu'il y a au présent et préserver l'avenir, à l'instar de la politique du Cardinal de Richelieu.

Ce dernier était responsable de servir seulement l'État, toujours pour son bien, quel que soit le prix moral à en payer, car il est responsable de son action devant le roi uniquement. Horace, le roi Tulle et Valère, un noble romain amoureux de Camille, incarnent chacun à leur tour : la Force, la Justice et la Prudence. Horace, par sa force et son héroïsme, affronte et gagne contre les Curiaces, quitte à tout sacrifier. Le roi Tulle fait preuve de justice en jugeant malgré tout son meilleur soldat, car il est légitime qu'il y ait un procès. Valère, malgré son amour pour Camille qui vient de mourir, juge qu'il est nécessaire de sauver Horace, mais que la raison doit tout contrôler pour ne pas dériver vers de la tyrannie.

Pour conclure, Horace nous parle d'hommes qui, pour lutter contre les guerres fratricides, le poids de l'Histoire et de la Providence, et le chaos inévitable que tout cela engendre, font preuve « d'un idéal de sagesse, conforme au bien de la cité et à la volonté divine » (Alain Couprie). La pièce aborde des questions essentielles propres au XVIIe siècle sur la raison d'État, l'intégration du héros meurtrier dans la cité et le passage d'une justice personnelle à la justice d'État. Horace donne toute la consécration à la supériorité militaire de Rome tandis que le verdict du roi instaure le règne du droit public. Enfin, même si Horace paraît être une pièce plus académique, contrairement à L'Illusion comique ou Le Cid, qui suit la définition aristotélicienne de la tragédie, elle s'écarte légèrement des codes en se concentrant sur la culpabilité des personnages.

Car ce sont tous des personnages généreux, vertueux et compréhensibles, hormis Camille, même si son désespoir est concevable (la preuve, elle est enterrée auprès de Curiace), tandis que chez Aristote, les personnages de tragédies ne doivent être ni tout à fait coupables ni tout à fait innocents ou, comme chez Racine, qui doit être entre les deux, ils ne doivent pas être extrêmement justes et vertueux : ils doivent mériter leur malheur à cause de leurs fautes. Par conséquent, Horace est une œuvre d'une grande intensité où l'homme se confronte au « devoir le plus haut et à la tension héroïque la plus forte », faisant partie dans une continuité logique au répertoire de Corneille.

SimBoth
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le 19 juil. 2025

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