Intérieur nuit
7.3
Intérieur nuit

livre de Marisha Pessl (2013)

Connaissez-vous le mythe de l'artiste reclu, génie mystérieux et fou, isolé et inaccessible ? Vous en êtes fan, vous le rédoutez autant que vous l'admirez, vous le jalousez, vous l'enviez, vous le détestez, et vous vous nourrissez de son oeuvre tout en même temps... Vous aimeriez savoir qui il est. Cet artiste c'est Cordova ! Bienvenue dans l'univers abyssal de Marisha Pessl, entre polar horrifique et thriller fantastique.


Ne fuyez pas devant la quantité de pages à avaler, je vous assure que vous ne les sentirez pas passer. Parce l'auteure manie l'art du rebondissement, du souvenir et de l'élipse avec une facilité qui vous laissera scotché. Scotché au livre, car sa longueur n'en fait pas un roman soporiphique, au contraire, il est une enquête aussi bien calibrée que les rails d'une montagne russe. Vous ne voudrez plus le lâcher, et les courts chapitres ne vous y aideront pas. Marisha Pessl ne s'essoufle jamais de devoir sans cesse faire avancer l'intrigue, tout en développant ses nombreux personnages, tous fascinants (elle n'en laisse aucun de côté, pas même les morts), et sans tomber dans la simplicité ou dans l'incohérence. Tout est milimêtré.


Vous l'aurez compris, du début à la fin on ne s'ennui pas en lisant Intérieur nuit. Dans cette histoire, l'on suit Scott McGrath, journaliste américain célèbre et déchu après une bourde relayée sur la place publique, solitaire et célibataire. On le suit, et on devient McGrath, jusqu'à ressentir sa frustration, son excitation, sa confusion et sa curiosité insatiable. L'auteure a su anticiper l'état d'esprit du lecteur et y intégrer ses pensées réflexives dans le protagoniste enquêteur : un homme rationnel, la tête sur les épaules, et déterminé à trouver la vérité. C'est ce parallèle entre McGrath et nous, lecteur, qui nous implique tant dans cette intrigue, dans les relations avec les personnages secondaires et dans cet univers construit de toute pièce alors qu'il prend des airs confusant de réalité. Comment ne pas apprécier l'effort original investi pour créer de fausses preuves réalistes : articles de journaux, captures de pages web, photographies, coupures de magazine, extraits manuscrits... Le roman prend des allures d'histoire vraie au moment même où il commence à flirter dangereusement avec le paranormal.


Et voilà quels sont les thèmes abordés par cette fiction : la frontière infime entre fantasme et réalité qui donne à la vie tout son sens ; le besoin irradiant de connaître la vérité, même quand elle n'est pas bonne à savoir, même quand elle est dangereuse, même quand elle n'existe pas ou qu'on vivrait mieux sans elle ; l'entêtement dans une direction qui rend invisible la plus évidente des réponses...


Si le personnage de McGrath n'est pas si profond (sa psychologie et son passé semblent se limiter à l'enquête que nous lisons) - et j'ai tendance à penser que c'est pour mieux nous laisser habiter ce personnage - les personnages secondaires sont creusés jusqu'à ce qu'ils n'aient plus aucun secret pour nous. Ashley, Nora, Hopper, et tout les autres qui gravitent autour du mystérieux Cordova. Tout ces personnages sont traités progressivement dans le récit, sans lourdeur, sans flashback, à travers des dialogues si crédibles et si émouvants qu'ils paraissent réels. Marisha Pessl a beau écrire une histoire sombre sur un réalisateur de film d'horreur adulé par des fanatiques tout aussi douteux, elle ne manque pas d'humour ni de coeur. L'ironie, l'autodérision, la passion amoureuse, l'inquiétude... et tant d'autres émotions traversent ses personnages touchants aux multiples facettes. On en vient même à regretter de ne jamais avoir connu Ashley, bien que l'enquête la rende plus vivante que jamais.


Cela dit, si la note que j'ai attribué à ce roman n'est pas de 10, c'est parce qu'il n'est pas parfait (et qui l'est ?). Ce n'est pas le style d'écriture assez simple qui lui fait du tord, parce qu'il sert la dynamique du récit. C'est quelque chose de totalement subjectif : le dernier quart du livre. C'est étrange, mais dès le moment où McGrath s'apprête à toucher du doigt la vérité, j'ai ressenti une sorte de déception grandissante. C'est comme si j'avais eu envie que le mystère reste entier, car aucune fin n'aurait été satisfaisante à mes yeux, comme si j'avais préféré que McGrath et ses acolytes se perdent dans les méandres de l'enquête sans jamais parvenir à leur fins, pour que je puisse encore et toujours faire des suppositions sans vérification possible. Ou bien une sorte de sentiment de trahison m'a laissé un goût amer : l'auteure s'est jouée de moi en me lançant sur une piste totalement remise en question par la suite. C'est le jeu, certes ! Mais j'ai trouvé ce revirement décevant. Notamment parce qu'il fait du roman une boucle, replaçant finalement McGrath au point de départ, ou presque.


Pour finir, je recommande ce roman à celles et ceux qui aiment se perdre dans des réflexions, en quête de révélations. Et je dis chapeau à l'auteure pour avoir créé l'univers cinématographique complexe et détaillé d'un réalisateur fictif que j'aurais aimé bien réel (je crois), en amatrice de films d'horreur. Bonne lecture !

abauteure
8
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Créée

le 25 juil. 2021

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