Lors d'un vernissage, le jeune Walker se voit abordé par un couple intrigant. Un certain Born, accompagné d'une femme d'une trentaine d'années. On discute littérature, la passion de Walker, d'autant que Born est le nom d'un poète. Voilà Walker invité chez ce couple. Margot cuisine admirablement. Born propose à Walker de créer sa propre revue, qu'il financera. Lors du dîner, il lui demande tout de go s'il ressent de l'attirance pour sa femme. Malaise. Etrange couple, se dit le jeune homme méfiant. Mais lorsque Margot lui propose de goûter de nouveau sa cuisine, il ne peut résister. La liaison sera torride, donnant au récit des airs de roman d'apprentissage car la Française s'avère expérimentée en matière sexuelle.
Le roman démarre très bien. La situation est assez captivante, y compris lorsque Born, en compagnie de son protégé, tue un jeune Noir qui les a braqués. Page 66 :
Le gamin avait un revolver dans la main gauche. (...) Le gamin n'était plus un gamin. Il était ce revolver et rien d'autre, le revolver de cauchemar qui vit dans l'imagination de chaque New-Yorkais, le revolver sans cœur, inhumain, de tout temps destiné à vous trouver seul une nuit dans une rue sans lumière et à vous envoyer prématurément au cimetière. Allongez. Videz vos poches. Vos gueules. Un instant plus tôt, j'étais au septième ciel et à présent, soudain, j'éprouvais la plus grande peur de ma vie.
Born sortira son cran d'arrêt et plantera son braqueur d'un geste sûr. Walker veut appeler une ambulance, part chercher du secours mais quand il revient Born a disparu avec sa victime. Il faudrait le dénoncer à la police, mais notre héros ne s'y résout pas. Cette lâcheté va peser sur sa conscience. Page 73 :
Quand l'inspecteur m'appela pour me mettre au courant, je me sentis écrasé, humilié, paralysé. Born m'avait eu. Il m'avait faire voir en moi quelque chose qui me remplissait de dégoût et, pour la première fois de ma vie, je compris ce que c'était que de haïr quelqu'un. Jamais je ne pourrais lui pardonner - et jamais je ne pourrais me pardonner, à moi.
Quitté brutalement par Margot, Walker vit un temps avec sa sœur chérie, avec laquelle il s'abandonne à la sensualité. C'est reparti pour les parties de jambe en l'air, relevées par leur caractère incestueux. Assez gratuit. Walker finit par s'exiler en France où il va retrouver Margot, ce qui lui permet de reprendre de plus belle le sport en chambre... Le roman perd en singularité. Je soupçonne toujours les écrivains qui se répandent en descriptions érotiques (Granville, Houellebecq, Adam...) d'être frustrés sexuellement. Et ces scènes sont souvent d'un intérêt limité.
A Paris, Born a sans mal retrouvé la trace de Walker, au grand dam de ce dernier. Notre homme est sur le point d'épouser une certaine Hélène, orthophoniste qui vit avec sa fille Cécile. Pour se venger, Walker va imaginer de faire capoter ce mariage auquel semble tant tenir son ennemi.
Tout cela nous est conté à la troisième personne : Walker devient "il". C'est ensuite un certain Jim, ami de fac de Walker, qui s'empare du "je". Walker lui a écrit pour lui raconter son histoire, qui nous est dévoilée de cette façon. Jim, écrivain reconnu, lui ayant conseillé de poursuivre son récit en changeant de perspective, celui-ci nous sera révélé à partir d'un "tu" assez malaisant. Ces changements font un peu l'effet de coquetteries inutiles.
Pour ce qui est de l'intrigue :
- La toute jeune Cécile tombe amoureuse de Walker, qui pour une fois décline l'offre. L'adolescente a bien du mal à s'en remettre.
- Le plan de Walker échoue : Hélène ne veut pas croire son récit de meurtre, elle en informe Born qui se venge en planquant de la drogue dans la chambre de bonne de l'Américain. Voilà Walker contraint de quitter le pays pour rentrer aux États-Unis, où il refera sa vie, se stabilisant enfin.
- A la toute fin du roman, Cécile raconte dans son journal qu'elle est allée retrouver Born reclus dans une île. Celui-ci lui proposa de l'épouser, ce qui acheva de vacciner la femme à présent quinquagénaire contre ce type plus que louche.
Notons une subtilité, page 179, à Paris, alors que Born vient de retrouver notre héros :
Sur ce, juste au moment où Walker se détourne pour s'en aller, Born plonge la main dans la poche poitrine de son veston couleur crème et en sort une carte de visite où figurent son adresse et son numéro de téléphone. Tiens, dit-il en tendant la carte à Walker. Toutes mes coordonnées. Au cas où.
Born a répété le geste qui lui avait fait sortir un couteau, tuant le jeune Noir : assez bien vu, pour exprimer le danger que représente, en permanence, le très cynique personnage.
Le récit n'en reste pas moins un peu rocambolesque et tiré par les cheveux. Heureusement, Paul Auster a pour lui un style d'une limpidité exceptionnelle, qui rend la lecture toujours captivante. Je ne sais qui était invisible dans ce roman et n'ai guère saisi le pourquoi du propos. J'y ai trouvé une certaine dose de fiel, une aura de mystère persistante plutôt agréable. Manque peut-être à ce récit un supplément d'âme.