Tandis que son dernier rejeton cinématographique refait parler de lui, une suite étant en chantier, la lecture de I Am Legend de Richard Matheson met à nu les facilités (aussi bien exécutées seraient-elles) du blockbuster de Francis Lawrence. Mais ce serait un tort que de verser dans une comparaison à sens unique, car le roman peut et doit se suffire à lui-même.
Véritable monument de la littérature de science-fiction, le chef d’œuvre de l’auteur américain est de ces objets vecteurs d’influences, irradiant de ses idées et thématiques tout un pan de la culture inter-médiums. Les genres modernes du vampire et/ou du mort-vivant auront été grandement façonnés par ce dernier, marque d’une aura fondamentale se retrouvant chez Stephen King ou George A. Romero : ce qui, pour ne rien gâcher, se retranscrit dans sa lecture encore aujourd’hui.
Car du haut de ses « petites » 228 pages, I Am Legend se dévore (d’une traite) aussi sûrement qu’il restera en mémoire : renversant le rapport de l’Homme aux mythes dans un dénouement aux forts accents darwinien, le roman tranche avec le postulat populaire de l’humanité surpassant l’Apocalypse tout en, chose bienvenue, traitant en premier lieu du phénomène à un niveau micro. Bien qu’il évoque les bases et le contexte de la pandémie, cela n’est à ce titre pas le centre de ses préoccupations, son récit évoquant le passé de façon très lapidaire et désordonnée.
Un procédé d’ailleurs confusant, les souvenirs de Robert Neville se dévoilant sans structure : là est toutefois (vraisemblablement) une volonté assumée de Matheson qui, peu tendre avec son protagoniste, instaure un climat et une psyché sans cesse mis à mal, luttant bien plus encore avec ses propres démons qu’avec les conditions extrêmes d’une existence précaire. Assujetti au poids de ses remords et de sa peine, le monsieur tout-le-monde qu’est Robert alterne ainsi entre survivalisme méthodique et quête de savoir, soit son pan « positif », tandis que l’alcoolisme et sa rage à fleur de peau composent un versant autodestructeur viscéral.
C’est pourquoi, outre son versant apocalyptique riche en interrogations et enjeux primaires, I Am Legend capte à ce point notre attention : le quotidien perd de son sens, la vie semble désormais révolue, vidée de sa substance connue… et nous embrassons, captivés à l’envie, le destin obscur du « dernier Homme ». Quoique simpliste de prime abord, le style de Matheson démontre tout son brio dans la gestion de son rythme, exacerbant les (rares) instants de tension (foutue montre) et ceux de malheur : la séquence du chien, pour ne citer qu’elle, est notamment d’une diabolique efficacité.
Finalement, son seul tort serait peut-être de trop embellir le « couple » Robert/Ruth, sorte d’évènement doux-amer venant nuancer la noirceur de sa conclusion : mais même en soulignant les facilités (et finalités) de cette ultime rencontre, I Am Legend parvient à ses fins en en tirant le meilleur. À l’image de, peut-être, la relation Neville/Cortman, pareil à un running-gag contrastant avec l’atmosphère dominante et qui, fait éloquent au possible, s’achèvera d’autant plus cruellement… au grand dam d’un lecteur aussi impuissant que Robert.