"Jeanne ! Au secours !"

Biographie audacieuse écrite par une historienne que je ne connaissais pas. Colette Beaune retrace l'histoire de Jeanne d'Arc depuis Domrémy à sa réhabilitation post-mortem dans les années 1450 autrement dit, de son enfance en Lorraine à son exécution en passant par le procès en nullité quelques décennies plus tard. Il ne s'agit pas ici de retracer l'histoire précise de la Pucelle, événements par événements, d'analyser ses choix ou encore de débattre sur la véracité des voix qu'elle entendait régulièrement mais plutôt d'entrevoir comment elle fut perçu par ses contemporains et comprendre la nature du dessein politico-religieux dans lequel elle s'était faite une place.

Ce qui saute aux yeux à la lecture de cet essai, c'est la contextualisation systématique. Il ne s'agit pas d'une biographie au sens classique du terme. Colette Beaune alterne les éléments biographiques sur Jeanne d'Arc avec des apports historiques précis et denses sur bon nombres de points : le lieu, l'époque, l'année, le mode de vie, les croyances païennes ou folkloriques, les habitudes des personnes humbles ou riches, les pratiques religieuses, des analyses théologiques etc. De sorte qu'au fil du livre nous apparaît par magie (sans mauvais jeu de mot) une Jeanne d'Arc non pas décrite par une historienne du XXIème siècle mais par les yeux de ses contemporains : à la fois dérangeante et fascinante. Colette Beaune nous met également dans la tête des personnages importants de l'époque, de la société laïc ou religieuse, afin de comprendre quels étaient les bouleversement culturels et politiques apportés par cette femme en armure, guerroyant et jurant délivrer le royaume par l’assentiment direct de Dieu. Comment le peuple recevait-il sa notoriété et sa légende en devenir ? Enfin, qui incarnait l'opposition à Jeanne d'Arc et pourquoi ? Beaucoup de questions qui trouveront des réponses claires et précises dans cet ouvrage.

Très rapidement on se rend compte, au-delà de Jeanne d'Arc, de la complexité des codes de l'époque, du cadre des institutions, des normes culturelles qui régissaient la vie des hommes et des femmes au Moyen-Âge. Jeanne d'Arc, prophétesse annonçant la délivrance du peuple contre l'envahisseur anglais, a bousculé la perception et le rôle traditionnellement attribués aux femmes tout comme la notion complexe de prophétie religieuse. En effet, la Pucelle d'Orléans n'est pas la première dans l'histoire de France à annoncer des changements futurs aux personnalités influentes de l'époque, il y a une sorte de tradition des prophétesses depuis le XIVème siècle (souvent des femmes venues des terres frontalières du royaume). Une tradition largement respectée et entendue par le christianisme même si le cas de Jeanne d'Arc est unique. La plupart des prophétesses, avant et après la Pucelle, se contentaient simplement de délivrer un message divin ou d'origine supérieure, puis laisser les autorités compétentes à la mise en place d'un plan d'action or Jeanne d'Arc prend les armes et se place à la tête d'une armée en tant que porte-étendard. Elle joue le rôle de moteur, c'est un cas unique dans l'histoire de France.

L'accréditation de Jeanne d'Arc auprès des théologiens et du roi, qu'elle souhaita rencontrer à Chinon, s'est faite sur la base d'analyses minutieuses de ses revendications et de son histoire personnelle, le tout en référence à la Bible. En effet le corpus biblique comporte bon nombre de prophètes et prophétesses entre l'Ancien et le Nouveau Testament qui servent de référence. Une fois entre les mains du pouvoir, absolument tout fut décortiqué : son village et sa région d'origine, sa sexualité (voulue Vierge évidemment), sa famille, son travail (elle n'était pas bergère contrairement à ce que l'on raconte traditionnellement), son caractère, sa pratique de la foi et bien sûr la prophétie qu'elle apporte auprès du roi Charles VII ! Qui lui a dit quoi, comment, où, la fréquence etc. De sorte que l’interprétation de sa révélation céleste, et de sa personnalité même, ne se faisant qu'à partir de la Bible, il était possible d'en déduire un peu tout et son contraire... Côté français, l'accueil de la Pucelle fut favorable en revanche, une fois aux mains des anglais lors de sa capture à Compiègne, les théologiens interprétèrent ses révélations sous l'angle de l'hérésie ou du paganisme décomplexé en trouvant bien entendu des références bibliques appuyant leur assertions. L'ensemble de l'ouvrage de Colette Beaune nous montre l'ambivalence des interprétations contraires qui, tour à tour, accréditent ou discréditent la Pucelle. Au procès de 1431, les actes de Jeanne d'Arc durant la campagne militaire seront passés au peigne fin tout comme l'analyse des voix et de sa prophétie. Procès autant politique que religieux, Jeanne fut condamné au bûcher.

Cet essai s'applique également à définir pourquoi le roi de France, après la mort de Jeanne d'Arc, s'est-il échiné à réhabiliter la Pucelle. En effet, lors du procès en nullité vers 1450, une fois encore, théologiens et proches de Jeanne d'Arc tentèrent cette fois-ci de la légitimer en récusant les charges portées à son encontre lors du procès de 1431. Car légitimer la prophétie et les actes de Jeanne d'Arc, c'est légitimer la guerre et le sacre du roi Charles VII en 1429.

A mi-chemin entre politique et religion, la vie de Jeanne d'Arc est tout entière consacrée au royaume de l'au-delà et à celui de France. Colette Beaune nous livre ici un travail remarquable, parfois complexe à suivre car très porté sur la théologie. Pour les amateurs de détails croustillants concernant son exécution, passez votre chemin. L'historienne s'attarde bien plus sur les deux procès que sur la mise à mort elle-même. Excellente biographie, je recommande.