Le Jardin des délices, où les fruits défendus du seul Prince

Jérôme Bosch est classé parmi les primitifs flamands. Que le qualificatif ne vous trompe pas, le peintre natif de Bois-le-Duc est certes flamand, mais tout sauf primitif. Arrêtons-nous sur Le Jardin des Délices (1500). Ce tableau fascine et déconcerte depuis cinq siècles. Gourous adamites, psychanalystes et surréalistes ont tenté de se l’approprier.


La peinture prend la forme d’un classique triptyque en quatre parties. L’extérieur, une sobre grisaille, présente le troisième jour de Création du monde. Une fois ouverte, la partie interne se décompose en trois tableaux époustouflants, de gauche à droite : le sixième jour de la Création, le fameux Jardin des délices et l’Enfer. Je ne prétends pas l’expliquer, ni même l’analyser, mais seulement lancer des pistes de réflexions



  • Toute l’œuvre de ce catholique pratiquant, membre de la puissante et sélective Confrérie de Notre-Dame, est imprégnée de christianisme.

  • Le Jardin des délices n’est pas destiné à orner les murs d’une église. Trop libertin, trop audacieux, il constitue la commande privée d’un prince, promise à son cabinet de curiosités. La liste des propriétaires est connue, Henri III de Nassau-Breda, René de Chalon, Guillaume Ier d'Orange, le duc d'Albe, Fernand de Tolède, puis le roi Philippe II. Depuis, il n’a plus quitté la couronne espagnole.

  • Bien que de grande taille, le tableau est travaillé avec une précision de miniaturiste. Il est conçu pour être admiré de près et longtemps. L’œil avisé s’y plonge et s’y perd, il y vagabonde, prend du recul, médite et n’a qu’une hâte, celle d’y revenir. Ce voyage est sans fin.

  • L’imagination est ahurissante, nos peintres surréalistes n’ont rien inventé : bâtisses molles et creuses, constructions végétales et bestiolières, chimères, drôleries et animaux anthropomorphes, mi-hommes et mi bêtes, homme-arbre, couteaux-oreilles...

  • Dieu présente Êve à Adam. Bien qu’associant animaux et chimères, ce paradis semble sage. Tout au plus, peut-on s’étonner que les animaux n’y vivent pas en totale harmonie, souvenez-vous du le loup jouant avec l’agneau ; ici, un chat emporte un lézard, un oiseau gobe une grenouille.

  • La ville en flammes et les troupes en armes de l’Enfer évoquent d’innombrables souvenirs trop humains. Plus proche de nous, des hommes nus sont torturés par ce qui semble être leur péché, la guerre, la musique, le jeu, la luxure. Cet abîme est noir et froid.

  • Venons-en au panneau central. Des centaines de jeunes hommes et femmes batifolent dans un jardin irénique. Les positions sont frivoles, lascives, sans être pornographiques. Tous semblent avides de consommer les fruits rouges de l’arbousier. Que font-ils ? Que Jheronimus nous dit-il ? Nous l’ignorons.

  • Selon l’hypothèse la plus simple, la plus classique et donc la moins ésotérique, nous sommes plongés dans un univers attrayant, mais tout entier voué au péché : le monde d’avant le Déluge. L’humanité a consommé le fruit défendu. Seuls trois personnages, en bas à droite, sont épargnés par cette frénésie de plaisirs, les savants ont reconnu Adam et Êve, pourquoi pas, mais surtout Noé, qui pressent la fin imminente de ce temps.

  • Si Jheronimus fustige le péché, avouons que cette dénonciation n’est pas dénuée de complaisance voyeuriste pour le fruit défendu. Le client est roi. Ce riche et tout-puissant prince s’est offert un somptueux catalogue de tout ce qu’il ne faut pas faire, à moins de vouloir finir aux Enfers.


https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Jardin_des_d%C3%A9lices#/media/File:El_jard%C3%ADn_de_las_Delicias,_de_El_Bosco.jpg


Le Prado, Madrid

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le 20 août 2018

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Step de Boisse

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