A l’époque de Shakespeare, en Angleterre, les pères étaient d’une grande sévérité avec leur progéniture, ils étaient violents, n’hésitant pas à battre comme plâtre leurs enfants. On trouve chez notre dramaturge anglais quelques traces de cela, par exemple la manière dont le père de la famille Capulet traite avec ignominie sa fille Juliette, qu’il insulte et terrorise parce qu’elle est amoureuse de Roméo, lequel appartient à une famille ennemie.A cet égard, Jules César est une curieuse pièce : d’abord parce que le personnage éponyme meurt au milieu de l’action. Et aussi parce que parmi ceux qui lui portent le coup fatal, aux Ides de Mars, il y a son fils adoptif, Brutus, qui est sans doute le vrai héros de cette histoire. Révolte politique, ou bien règlement de compte œdipien, même s’ils ne sont pas du même sang ? Freud était un grand admirateur de Shakespeare, il a notamment consacré de nombreuses pages à Hamlet. Pour le créateur de la psychanalyse, le père est la figure originelle et le modèle du pouvoir, y compris du pouvoir politique. Or, César abuse de ce pouvoir, il est envahi par cette ubris qui le pousse à vouloir être couronné empereur dans une nation depuis longtemps attachée à la république, si bien que de jeunes Romains, soucieux de préserver cet état de fait, décident de l’en dissuader, et de le tuer si nécessaire. Parmi eux, le jeune Brutus. Pourtant Brutus aime César et est aimé de lui, comme le suggèrent plusieurs scènes de la première partie de la pièce. Et, comme le rappelle Freud, les fils ont vis-à-vis de leurs pères des sentiments ambivalents, un mélange d’amour et de haine…Un autre proche de César, Marc-Antoine, va soulever la population romaine contre Brutus et ses amis, avec cette magnifique tirade qui à elle seule est un chef-d’œuvre rhétorique ! Il parvient en effet à retourner son auditoire contre les auteurs du complot qui ont poignardé César en plein Sénat. La suite sera la guerre civile entre les partisans de Brutus et ceux de Marc-Antoine. Mon cœur ne balance pas entre ce dernier et Brutus : il était temps, en effet, que le patriarcat et la monarchie soient remises enfin en question ! à ceux qui seraient choqués qu’un fils, adoptif ou non, se révolte contre un père qui abuse de son pouvoir, je répondrai comme Marc-Antoine, son ennemi pourtant, « This was a man » !Cette pièce est pour moi l’une des meilleures de Shakespeare, et j’en ai vu beaucoup ; elle pose des questions essentielles sur le pouvoir, et Shakespeare est ainsi l’un des plus grands dramaturges de tous les temps.