La première fois que j’ai lu un texte de Thomas Vinau, c’était en épigraphe d’un recueil de Pierre Autin-Grenier. Le poème « Attila » y était reproduit sans son titre : « Celui qui peint / qui joue / ou qui écrit / est le pillard / de l’enfant dévasté / qu’il était » (p. 66 de Juste après la pluie). Et je me suis demandé qui était l’auteur de quelque chose de si simple et fort à la fois.
Depuis, je l’ai découvert un peu : l’unité et l’abondance de sa production ; son côté bobo-rural, agaçant lorsqu’il ressemble à une posture ; son admiration pour Walser, Brautigan, Autin-Grenier et quelques autres, qu’on retrouve ici… J’ai lu d’autres pages de lui, des faibles et des très belles.
Dans Juste après la pluie, c’est la même chose. Le poème intitulé « Spontex » (p. 185), par exemple, raté : d’une part parce qu’il est en l’occurrence dépourvu de toute alchimie verbale, d’autre part parce qu’une vague méditation sur les côtés vert et jaune d’une éponge qui a gratté la crasse du monde, c’est finalement bien convenu, depuis que la poésie des petits riens a acquis – au plus tard avec Francis Ponge – ses lettres de noblesse.
Mais on trouve aussi des bijoux dans ce recueil : « À l’intérieur / habite un ours / qui arrache la tête des poissons / avec l’affection / d’une mère » (p. 86) : cinq vers pour qu’un assemblage de mots demande au lecteur ce qu’est la réalité – ce qui est à mon sens la raison d’être de la poésie. (Ce poème pourrait faire figure d’exception, dans la mesure où les plus courts de Juste après la pluie sont loin d’être toujours les meilleurs. J’aime beaucoup l’énumération de deux pages constituée par « Nous avons faim de quelque chose », qui est à la fois une sorte de développement et de synthèse autour du thème ce que nous cherchons – ce qu’un Stig Dagerman, à mon sens, a échoué à faire dans Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, mais je m’égare.) Je ne m’amuserai pas à déplier ce poème et à développer l’ensemble des questions qu’il pose, car c’est toujours un peu ridicule de faire subir un tel sort à des textes qui ne soient pas des classiques, à plus forte raison lorsqu’ils sont aussi chargés d’intimité que ceux de Thomas Vinau.
En réalité, non seulement j’aurais aimé écrire la plupart des poèmes de Juste après la pluie, comme ça m’arrive avec certains livres, mais je crois que j’aurais pu les écrire, ce qui est moins courant. Je ne dis cela ni par fausse modestie, car ce n’est pas mon habitude, ni pour dévaluer le travail de leur auteur, car produire en 2013 une poésie qui ne soit ni fondamentalement hermétique ni franchement niaise n’est pas à la portée de n’importe qui.

Alcofribas
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le 31 juil. 2018

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