Pas évident de décortiquer un livre de Stephen King, c'est le genre de bouquin qui marche bien sans qu'il soit facile d'en dégager clairement les qualités.

Ce constat est d'autant plus vrai avec les recueils de nouvelles qui sont souvent particulièrement bons, ou du moins qui ont eu le mérite d'avoir un impact fort sur la pop culture occidentale pendant plus de 30 ans (on pense aux adaptations des contes macabres de Brume, la faucheuse, Minuit au ciné, Tv films, références dans les séries, etc...). « The Myst » est d'ailleurs l'une des meilleures œuvres de l'écrivain réussissant en une trentaine de page ce que le Fléau aboutissait en quasiment 1000.

Pourquoi donc écrire sur ce recueil ?

D'abord parce qu'il donne une prise évidente par sa médiocrité. L'ensemble est parfaitement moyen, les maigres qualités se retrouvent régulièrement, espacées à chaque fois d'une cinquantaine de pages afin de nourrir le lecteur à chaque fois au moment où il s’apprête à lâcher.

Ainsi à quelques nouvelles infâmes (celles sur le 11 septembre, la première...) côtoient des choses plus sympa mais relativement faibles ("la fille pain d'épice" pour son rythme, "un très petit coin" pour son audace de série B)...

Ce livre pourrait être tout à fait dispensable et sa lecture pourrait représenter une perte de temps quasi totale. ; cependant, au milieu de tout ça, trône une nouvelle mystérieusement intitulée "N".
Impossible donc de ne pas signaler cette réussite qui brille d’autant plus par la comparaison.


N.


"N", c'est la perle au milieu d'une huitre un peu passée. "N", c'est quelque chose de flippant dans la mesure où émerge des lignes une peur, des thématiques maîtrisées, qui nous étaient jusque-là peu connues chez l'auteur.

"N" est un hommage à la littérature horrifique des origines de l'Amérique. On retrouve Lovecraft évidement, un peu de Poe, mais aussi beaucoup de références plus obscures telles que Robert W Chambers. Il y est question de Grands Anciens, de la réalité comme simple rideau masquant la vérité des origines : l’indicible, l'inhumain, le labyrinthe de Pan.

Cette zone entre-aperçue fait alors complètement sens : c'est le Vadash du cycle de la tour sombre, les ténèbres que traversent régulièrement les personnages d'écrivain chez Stephen King, les béances d’où émerge encore et encore Randal Flagg au travers de l’œuvre du King...

La nouvelle est très forte en ce sens qu'elle condense cette thématique intelligemment : le territoire impie, c'est celui qui échappe au mot, à la littérature. L’idée d’associer ce vacillement du réel aux troubles obsessionnels compulsifs est puissante : il s’agit pour les personnes sujettes aux TOC, de structurer l’environnement par le biais de rituels pour faire tenir le Monde. Stephen King reprend littéralement le TOC pour faire des malades les remparts face au non-sens originel qui menace l’humanité.

La nouvelle « N. » fait donc appel directement aux peurs irrationnelles les plus profondes, celles qui précèdent la peur du noir ou de l’inconnu : c’est la peur de la perte du sens. Le monstre de « The Thing » en perpétuel changement, Ctulhu et sa cité de Rlyeh qui rendent fou par leur simple existence plus qu’ils ne tuent les humains.
Le revers de cette médaille, c’est du coup (de maître) de considérer l’humain comme ontologiquement porteur du Verbe et du Sens. Dans tous les romans du King, l’horreur vient finalement non pas tant de l’outre-monde mais du regard que l’on porte sur celui-ci (La Tour Sombre, la Ventoline dans « Ca »…).

Le style est tout sauf paresseux. La déconstruction progressive des mots permet à la fois de faire basculer le lecteur, mais aussi de l’impliquer plus profondément dans l’histoire en le sollicitant par le mystère ou l’aspect ludique de l’échange épistolaire. Le simple fait d’utiliser des initiales est un moyen intelligent de forcer le lecteur à apposer une zone de flou sur le monde décrit, ne serait-ce qu’en ne connaissant pas les personnages, imaginant leurs noms à partir de signes (une simple lettre)). En une simple nouvelle, l’ensemble de l’œuvre de Stephen King semble éclairée. Ca n’en fait pas une œuvre fondamentale pour autant, dans le genre je lui préférerai toujours un Richard Matheson ou un Lovecraft, mais le geste est touchant et rassure sur le fait que l’auteur de Ca, du Fléau, du Dôme, Running Man, Marche ou crève et autres belles réussites, ne se résume pas encore à un recueil de nouvelles pourries.

Définitivement, Stephen King, même lorsqu’il met de la bondieuserie dans ses romans (La conclusion du Fléau), fonde avant tout sa foi en l’homme. Ce qu’il retient de la Bible, c’est avant tout que Dieu a créé l’homme à son image. L’homme est créateur, par son regard et par le Verbe.
Dlra_Haou
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le 22 avr. 2014

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Martin ROMERIO

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