Écrire une chronique sur L'Ange d'Indian Lake, c'est comme essayer de résumer un cauchemar sanglant de 600 pages : c'est une mission quasi impossible. Trop dense, trop violent, trop riche en références culturelles, trop tout. Cela explose de partout, le feu, le lac, les tronçonneuses, les machettes, les anciens morts, les nouveaux, les anciennes victimes, les fantômes vengeurs, les habitants douteux, les riches, les pauvres, les autochtones. Stephen Graham Jones ne se contente pas de conclure sa trilogie : il la fait exploser, comme Jade Daniels elle-même, au milieu du chaos.


Alors, soyons clairs dès le début, cela ne va pas être facile d'écrire cette chronique, mais je vais essayer.


Tout commence un vendredi 13 octobre 2023. Pas un faux : un vrai vendredi 13. Premier indice que Stephen Graham Jones ne cite pas le slasher. Comme son personnage, il l'habite complètement. Il joue avec les codes du genre pour mieux les dynamiter. Et bientôt Halloween, donc on est à fond dans l'ambiance.


Que se passe-t-il? Jade revient quelques années après son incarcération et elle est prof d'histoire dans son ancien lycée. Cela aussi n'est pas anodin : elle enseigne la mémoire, la survivance, la traque des fantômes. A l'image de son mentor, monsieur Holmes avec lequel elle continue des conversations unilatérales depuis le cimetière où il repose.


Ce fameux vendredi 13, deux élèves disparaissent et tandis qu'un petit malin montre en plein cours, ce qu'il sait faire avec ses drones, on assiste à une scène plus que sanglante montrant que c'est reparti pour un tour dans le train de l'angoisse.


Le roman brille autant dans sa violence que dans son humour noir et sa conscience du genre. Jade sait parfaitement dans quel film d'horreur elle vit :


« Je suis faite pour jouer le rôle de Randy, Cassandra, Clear, mais ni Sidney, ni Laurie, ni Nancy. Et certes, je vénère Ripley, mais personne au monde ne peut rivaliser avec elle. »


L'œuvre est méta en permanence comme nous l'avions abordé dans le tome 1 (Mon cœur est une tronçonneuse) et le tome 2 ( N'aie pas peur du faucheur), consciente des archétypes, mais surtout décalée (comme Wes Craven a fait avec Scream).


« Parce que dans un film d'horreur, il y a toujours une machette disponible quand vous en avez besoin. »


Et malgré toute la maîtrise et la connaissance des codes, survivre reste traumatisant :


« Vous aimez les films qui font peur, Mr Holmes?

Avant, j'aimais ça. Jusqu'à ce que je doive y survivre. »


L'Ange d'Indian Lake n'est pas seulement qu'un slasher jouissif bourré de sang et d'humour noir. C'est une fable sur la mémoire, l'histoire et l'appropriation, qui mêle la violence spectaculaire à une réflexion subtile sur le poids du passé. Jade, en tant que Blackfeet, n'est pas seulement une survivante de massacres contemporains et fictifs : elle est la gardienne d'une mémoire ancestrale, confrontée à un territoire marqué par la conquête, la colonisation et la violence répétées des hommes sur les peuples autochtones. La ville idyllique à flanc de montagne, le lac et la forêt ne sont pas de simples décors : ils incarnent l'histoire enfouie, les traces d'horreurs passées et les traumatismes collectifs que le slasher moderne ne fait que réveiller et refléter.


Le retour des massacres, les vidéos sanglantes, la mise en scène de la terreur autour du lac, la forêt en feu, tout cela fonctionne comme une métaphore de la répétition de la violence historique et l'éloignement de l'homme à sa nature : le mal ne disparaît jamais vraiment. La survie de Jade n'est pas qu'une performance individuelle : elle devient un acte politique et mémoriel, un refus de laisser le passé s'effacer et de laisser les récits de violence se répéter sans conscience ni justice. le lecteur se retrouve à la fois captivé par la tension et invité à regarder plus loin : qui raconte l'histoire? qui survit et à quel prix? et comment le passé continue de hanter le présent?


Et il y a aussi cette référence culturelle universelle, ce petit garçon noyé dans le lac que les adultes ont laissé mourir par négligence, notre petit Jason Voorhies, moteur de l'injustice et de la vengeance. A tous ses petits enfants qui n'ont pas été sauvés.


La toute première page d'hommage, commence ainsi et m'a fait un pincement au coeur :


« pour ce petit, appelé Jason. Je serais allé te chercher dans l'eau, mec. On y serait tous allés. »

gabylarvaire
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