L'Année du Lion
7.6
L'Année du Lion

livre de Deon Meyer (2016)

Deon Meyer est tout sauf un novice. Au fil d'une dizaine de polars haletants, il scrute son pays, l'Afrique du Sud, en capte les tourments, les blessures. Sa réputation de raconteur d'histoires n'est plus à faire. Pourtant, quand il décide de faire un pas de côté et de s'essayer au roman post-apocalyptique, l'inquiétude est de mise. Ce genre de pari n'est pas toujours couronné de succès. Sortir de sa zone de confort, prendre des risques, c'est bien, mais le résultat peine à être à la hauteur.
Sauf ici. Parce que L'Année du Lion, les amis, est pour moi sans conteste son meilleur livre, et de loin.


Se libérer des codes et contraintes du roman policier a également libéré Deon Meyer. Dans L'Année du Lion, on retrouve avec jubilation son savoir-faire de maître du suspense. Les scènes d'action sont légion et mettent le feu aux pages qui défilent à toute vitesse. Le rythme reste soutenu de bout en bout. Si le cadre du récit est post-apocalyptique (on y revient dans un instant), la technique du roman reste celle d'un thriller. Avec des mystères à résoudre, des secrets à dévoiler, du danger, des ennemis, des armes et des crimes.


D'ailleurs, la première page annonce la couleur, en dévoilant que Willem Storm a été assassiné. Par qui, pourquoi ? C'est que son fils, avide de vengeance, va chercher à découvrir, en se faisant narrateur de l'histoire et en remontant le fil de son périple humaniste au côté de son père. L'Année du Lion est en mode thriller, et fera tout pour ne pas vous lâcher les tripes jusqu'à la fin.


Oui, mais ce n'est pas tout. C'est loin d'être tout, à vrai dire. Si L'Année du Lion est aussi fort, aussi percutant, aussi grandiose, c'est que Deon Meyer exploite pleinement son idée de départ post-apocalyptique pour développer un très large faisceau d'idées, de problématiques et d'interrogations en tous genres. Acharné à bousculer son lecteur et à le faire réfléchir entre deux montées d'adrénaline, le romancier sud-africain multiplie les questionnements politiques, économiques, sociologiques, éthiques ou religieux.


Pour ce faire, il recourt à un large panel de personnages, à qui il donne régulièrement la parole grâce à une superbe idée formelle. En effet, Meyer imagine que les témoignages des uns et des autres sont enregistrés lorsqu'ils rejoignent la communauté ; ce sont ces archives, intercalées entre les évolutions des différentes intrigues, qui nourrissent le roman et lui donnent autant de matière sur autant de sujets différents.


Par facilité médiatique ou commerciale, on a beaucoup comparé L'Année du Lion à La Route de Cormac McCarthy. Je vais être clair et très tranché : hormis le point de départ (un père et son fils tentent de survivre dans un monde post-apocalyptique), les deux livres n'ont rien à voir. Et je trouve L'Année du Lion incomparablement plus riche, plus émouvant, plus impressionnant que La Route (qu'à l'époque de sa sortie j'avais trouvé largement surestimé. Comme quoi, j'ai de la suite dans les idées, quitte à me tromper. (Ou pas.))
En tout cas, L'Année du Lion m'a renversé et, des années après sa lecture, continue de m'habiter ; pas La Route.


Cet avis pas très littérairement correct en fera sûrement bondir plus d'un, mais j'assume. McCarthy est un écrivain plus ambitieux, plus complexe, plus virtuose du point de vue du style, nous sommes d'accord. Son œuvre entière est clairement dans une autre galaxie que celle de Deon Meyer. Mais sa Route, tunnel oppressant qui s'achevait en ébauche de rédemption plombée de bondieuserie, avait beaucoup moins de choses à dire sur l'humain que le roman de Deon Meyer.


Bon, après, pas besoin forcément de rentrer dans ce genre de débat. (J'avais juste envie de râler, désolé.) L'Année du Lion est un torrent de lave littéraire, un bouillonnement de suspense et d'intelligence dont l'épaisseur est tout sauf un obstacle. J'ai freiné des quatre fers pour ne pas le terminer, celui-ci - tout en brûlant de connaître le fin mot de l'histoire... que Deon Meyer nous offre dans un twist qui a largement divisé les lecteurs, exaspérant certains, enchantant d'autres. Je fais partie, comme vous l'imaginez, des enchantés. Et vous incite à vous emparer de ce monument, qui assure un moment de lecture trépidant et enrichissant. Que demander de plus ?

ElliottSyndrome
10
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Créée

le 13 mars 2020

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ElliottSyndrome

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