La chronique littéraire sur les radios de l'Arc jurassien

Diana a un travail qu'elle adore. Elle est une machine à tuer.
Au centre de psychologie criminelle, on l'appelle un appât, et ceux qui en connaissent l'existence en ont peur.
Sa mission, c'est d'appâter le Spectateur, un monstre que les profileurs n'arrivent pas à cerner. Il sélectionne une fille, l'enferme dans son sous-sol, lui fait subir les pires mutilations pendant plusieurs jours et essaie de la garder en vie le plus longtemps possible.
C'est pour ça que Diana sort tous les soirs jusqu'à ce que le Spectateur la choisisse elle, pour le détruire. Mais c'est sa sœur qu'il choisit...

José Carlos Somoza base tout son livre sur le théâtre de Shakespeare.
Il monte de toutes pièces une théorie révolutionnaire, celle du psynome, selon laquelle ce que nous sommes dépend exclusivement de notre désir, qui se traduit par les yeux, les gestes, la voix. Tous les codes des désirs humains auraient été catégorisés par Shakespeare dans son œuvre. Et c'est ce qu'étudient les appâts. Ils répètent les pièces, les situations, les psychologies des personnages et comment faire vivre le désir ultime à leur adversaire. «Pour vaincre ton ennemi, nul besoin d'arme, il te suffit de le faire jouir.» Selon la position de son corps, les vêtements qu'il porte et l'environnement où il se trouve, un appât peut forcer un homme à se suicider de désir.

Diana est le meilleur appât de la police madrilène.
Ce qu'elle préfère au monde, c'est traquer, détruire, manipuler, jouer un rôle comme au théâtre, sauf que la représentation c'est la vraie vie, et que la scène est la rue, un appartement luxueux, ou un sous-sol sordide.
Quand sa sœur est enlevée, elle se prépare physiquement et psychologiquement, elle travaille son masque, la façon dont elle devra bouger, parler, être habillée, pour déstabiliser le Spectateur. Elle doit feindre son personnage, s'oublier pour attirer le psychopathe. Devenir l'image qu'il désire, son amour absolu.

Somoza livre un thriller qui accroche. La théorie du psynome et le regroupement des désirs de l'inconscient humain est ambitieuse. Il allie à sa théorie la force des pièces de Shakespeare, sans s'étendre prétentieusement sur son œuvre. Diana est subtile, intrigante, elle porte tout sur ses épaules, sans jamais se démonter. Elle est pleine de doutes aussi, sur ce qu'elle fait, ce qu'elle ressent, ce qu'elle aimerait vivre et c'est ce qui la rend humaine.
L'appât est sans lenteurs, plutôt gore, avec une énigme qui s'étend au fil des pages pour créer une trame gigantesque. Différent et plus convaincant que son précédent livre, La clé de l'abîme, L'appât signe le retour d'un Somoza grandiose.