La chronique littéraire sur les radios de l'Arc jurassien

À Meade, dans l'Ohio, Willard revient de la guerre traumatisé. Il s'arrête au Wooden Spoon, un diner, où il rencontre la femme de sa vie, Charlotte, une poupée aux cheveux noirs.
Des années plus tard, Charlotte tombe gravement malade. Aveuglé par la peur de la perdre, Willard se rend tous les jours au tronc à prière qu'il a installé dans la forêt. Il emmène Arvin, son garçon de 9 ans. Mais l'état de Charlotte empire, et Willard perd les pédales. Il verse du sang sur le tronc, beaucoup de sang. Il ramasse les animaux écrasés, achète un agneau, abat un chien errant, plante de grandes croix de bois autour du tronc et y cloue les animaux, prie jusqu'à l'épuisement. Et Charlotte se meurt.
Roy et Théodore sont de jeunes prédicateurs qui se déplacent d'église en église. Roy déclame son discours particulier pendant que Théodore, dans son fauteuil roulant, l'accompagne à la guitare. Leur vie est parfaitement réglée jusqu'à ce que Roy s'entiche d'une fervente croyante et l'épouse. Mais depuis qu'Helen est entrée dans leur vie, ils ne prêchent plus, et ça rend fou Théodore. Pour se débarrasser d'elle, il convainc Roy qu'il peut ressusciter les morts, en commençant par sa femme.
Carl est photographe, Sandy travaille dans un bar. Tous les étés ils rassemblent leurs économies pour sillonner les routes pendant une dizaine de jours. Ce qu'ils aiment, c'est prendre des jeunes gens en stop. Des garçons, ou des hommes, mais Sandy préfère ceux qu'elle appelle des anges. La spécialité de Carl, c'est le portrait, de préférence avec Sandy toute nue et le garçon qu'elle tient dans ses bras, criblé de balles.

À priori, rien ne rapproche toutes ces destinées, hormis l'Ohio des années 50 et 60. Un Ohio sauvage, comme la violence qui rempli le cœur de tous les personnages de Pollock.
Arvin nourrit une soif de vengeance envers les monstres de son univers. Une vengeance froide, non préméditée, qui noircit son âme de beau petit garçon qui en a trop vu, trop vécu. Et tous ne s'en sortiront pas vivants.

Le Diable, tout le temps remet en cause l'ambivalence de la religion poussée à son extrême. Une religion qui sauve, mais qui condamne aussi durement. Derrière chaque acte de bonté se cache le Diable, derrière chaque malveillance la volonté de faire le bien. Les monstres s'abritent derrière la religion pour se permettre des actes terribles, comme Sandy qui s'assure que les hommes qu'elle tue sont baptisés et n'iront pas en enfer. Il n'y a que Pollock qui arrive à écrire sans choquer, sans voyeurisme, mais avec une précision des sentiments minutieuse, à tel point que les monstres deviennent attachants.
La manière dont il relie tout à travers Arvin est bluffante, et plusieurs fois on devine ce qui va arriver sans pouvoir l'empêcher, sans que Pollock ne change d'avis au cours du récit. Il va jusqu'au bout de son histoire, même si elle est dure à encaisser.

Ce livre ne vous quittera jamais. Pour son premier roman, Donald Ray Pollock se place en tête des meilleurs écrivains américains que j'ai lus. Son roman est autant magnifique que démoniaque, brutal que transcendant, et même s'il nous montre une réalité qu'on ne souhaitait pas voir, il réussit à nous toucher au plus profond de nous-même.
Mei-mei
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le 14 mars 2012

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