C’est le paradoxe développé par Jack London : comment la recherche frénétique du progrès (matérialisé par l’or) conduit à la sauvagerie. Buck, à cause de l’avarice des hommes, apprendra à se dé-domestiquer. C’est un récit d’initiation à l’envers en somme.
Le chapitre « the law of club and fang » marque le début de son apprentissage, au cours d’une scène d’une violence inouïe qui ne conviendra d’ailleurs pas à tous les yeux. Côté « fang », il y a bien sûr le combat à mort haletant contre Spitz, son rival. On apprend à se méfier des hommes et des chiens, dans un monde où c’est la loi du plus fort qui prime.
Pourtant, c’est également dans cet univers que Buck va se lier avec un humain comme jamais il ne s’était lié auparavant, une amitié « à la vie à la mort ». La scène du traîneau de 1000 livres est une des scènes les plus intenses que j’ai eu l’occasion de lire.
Le tour de force de l’auteur est d’avoir réussi à écrire du point de vue du chien, sans tomber dans l’anthropomorphisme. En effet, le chien ne « comprend » pas, il ressent. Donc pas de monologues intérieurs, de réflexions métaphysiques, mais des sensations, des émotions : la faim, le froid, la fatigue, la peur, la colère, la ruse, l’amour. Cette tentative d’empathie avec l’animal est assez exceptionnelle, notamment pour l’époque, celle de la révolution industrielle, où l’homme est plus cartésien et autocentré que jamais.
La nouvelle est merveilleusement écrite, et comme dans toute bonne nouvelle, rien ne dépasse. Les profils d’humains et de chiens sont variés, avec une caractérisation efficace. Jack London prend le temps de nous immerger dans la pratique du traîneau, nous en livrant toutes les subtilités et les dangers. L’ambiance polaire de l’Alaska est parfaitement rendue. La nature est au centre du récit, décrite dans ses moindres détails. Je suis content d’avoir fait l’effort de le lire en anglais pour apprécier la diversité du vocabulaire utilisé pour nommer la flore, les états de la glace, la rudesse du climat.
Plus le récit avance, et plus on plonge au coeur de ce monde implacable, sinistre, bestial, où résonnent les hurlements des loups sous les étoiles. La dernière page est un chef d’œuvre à elle toute seule : c’est la fin du récit de Buck, qui n’est plus un personnage, mais un animal de la meute, un fantôme qui hante les nuits des amérindiens, le digne héritier de ses ancêtres qu’il a entre-aperçus à plusieurs reprises dans le crépitement du feu de camp.