Bon, je déambule par une soirée d'hiver dans les rayonnages de ma médiathèque, du Dungeon Synth dans les oreilles, et les yeux dans le vague. Jusqu'à ce que ceux-ci tombent par hasard sur ce bouquin de Fantasy hexagonale (oui, malgré les sonorités anglo-saxonnes du nom de l'auteur, celui-ci est français et réside dans le Limousin), l'écho de son succès ayant trouvé son chemin jusqu'à mes tympans, en général plus occupés à écouter du Burzum que la cacophonie médiatique ambiante, mon esprit décide de l'emprunter, surtout que je ne lis pas beaucoup d'oeuvres fantasiesques vieilles de moins de 10 ans, histoire de laisser la came vieillir comme un bon vin, et ne garder que le meilleur.


Par les temps qui courent, c'est un lancer de dés risqué qu'ont tenté les éditions du Diable Vauvert en publiant une heptalogie (dont seuls deux tomes sont actuellement sortis) de Fantasy, française de surcroît. Une prise de risque qui est à saluer, et qui change des éditeurs qui se foulent pas en publiant dans une furie boulimique milliers et myriades de romans de plage et bouquins formatés pour décrocher le prix Goncourt, tant de livres au mieux médiocres que le cosmos tout entier aura oublié dans trois mois. Ces digressions terminées, explorons le fond de l'affaire.


Qu'on se le dise bien, Patrick K. Dewdney ne révolutionne pas grand-chose en nous racontant les tribulations de Syffe, orphelin paumé au beau milieu de la ville de Corne-Brume et de sa campagne, qui sera appelé à grandir, apprendre et se retrouver mêlé à des intrigues politiques au sein de sa ville, tandis qu'une menace maléfique et surnaturelle se profile à l'ouest. Mais il le fait très bien, et c'est ça qui compte.


On se retrouve donc dans du roman d'apprentissage des plus classiques, mais prenant, très bien fichu, au rythme lent mais pas chiant, et narré par une plume simple et poétique qui dégage la moelle des personnages, à commencer par Syffe : un enfant dépeint de manière crédible, qui pense comme un enfant et qui parle comme un enfant, qui va connaitre une existence assez terrible (mais sans jamais sombrer dans le mélodrame larmoyant), et côtoyer un paquet de personnages secondaires, avec chacun une personnalité et un passé bien à lui, d'Uldrick le mercenaire Var, badass à souhait, à Nahir, vieux médecin venant venant du sud lointain de Jharra, pays simili-indien, et pas mal d'autres.


Les inspirations littéraires de Dewdney sont assez évidentes, et proviennent surtout de l'Assassin Royal, de Robin Hobb, et de l'Arcane des Epées, de Tad Williams (également source d'inspiration du Trône de Fer). Mais c'est aussi dans l'histoire qu'il va puiser pour modeler son univers à lui, riche et profond comme je les aime, avec sa géopolitique, ses civilisations diversifiées (mention spéciale aux Vars, peuple de guerriers-nés, dont l'on sent toute l'aura martiale), et ses lieux qui ont une vraie identité : on sent que les forêts sont vraiment immenses et sauvages, que les routes sont dures et longues à parcourir, que le monde est très vaste, et que la ville de Corne-Brume est complexe, dans son histoire comme dans sa composition, abritant des quartiers, ethnies et classes sociales bien distincts, occasionnant au passage pas mal de racisme et de luttes intestines pour le pouvoir et la fortune. Rajoutant à la maturité de l'histoire, en plus des morts assez imprévisibles et de quelques scènes assez gores.


Bien sûr, on pourra noter quelques anicroches, comme certains coups de chance un peu gros, comme ce moment où il se fait bâillonner avec un tissu censé être imbibé d'un liquide anesthésiant, mais qui n'en contient finalement pas (miracle!). Ou le personnage de Duranne Misolle, gosse de riche cruel, raciste et arrogant à son nec le plus ultra, mais dont la connardise la plus totale le rend un peu trop prévisible, vu qu'on sait qu'il va toujours agir de la manière la plus vile possible. Mais franchement ces rares défauts sont très minimes.


Si j'étais un journaliste de chez Télérama, je conclurais à grands coups d'adjectifs et d'expressions qui ne veulent plus dire grand-chose tant elles sont sur-utilisées, je pourrais dire que c'est un "chef-d'oeuvre", qu'il est "jubilatoire", en plus d"'une leçon de cinéma à visionner absolument pour se croire cinéphile".


Mais je suis un homme simple et je vais juste vous dire que c'est un premier tome accessible, de très bonne facture, et qui vaut la peine d'être lu.

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le 20 déc. 2019

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