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Se replonger dans un roman de Boualem Sansal, c'est mesurer à quel point sa langue si personnelle, née de la colère, est ardue à lire, et ses intrigues, tellement diluées dans le propos que, bien plus que secondaires, elles semblent n'être plus qu'un prétexte. On peut donc se demander l'urgence qu'avait le gouvernement algérien d'emprisonner un auteur que son style destine à des lecteurs avertis, qui certes est une figure médiatique (relative), mais que le grand public n'aurait pas connu sans cette arrestation récente. Le but devait être de faire taire une voix jugée séditieuse, et le résultat aura été de la mettre en lumière. Voyons-y un hommage involontaire à une idée de la puissance de l'art, et surtout profitons-en pour saluer le courage d'un homme qui n'a jamais renoncé à exprimer publiquement ses idées tout en restant à l'endroit où ses discours ne pouvaient qu'être si mal accueillis. Chapeau bas, monsieur Sansal.

Parlons également du livre, dont j'ai déjà dit la difficulté qu'on aurait en le lisant, que le lecteur, averti, se le tienne pour dit. Deux hommes dans une cellule racontent leur histoire, et pendant ce temps, un étrange enfant, enchaîné à un arbre creux dans la cour de la prison, semble rythmer le récit. L'histoire suivie sera principalement celle de Pierre, fils adoptif de pied noir dont la quête de vraie mère sera celle de ses racines. A travers sa quête est brossé un sombre portrait de l'Algérie post-coloniale. Tout comme dans son premier roman, Boualem Sansal laisse courir sa plume avec une grande liberté, guidé par une colère galvanisante. Voilà, pour se rendre compte, un petit extrait de ce qui vous attend :


"Il y a enfin cet enfant fou qui habite l'arbre creux au milieu de la cour. On le laisse tranquille, on ne l'approche pas, on évite même de le regarder. Nul ne sait quel sortilège l'a enchaîné à Lambèse. Un chanvre hérissé passé autour du cou le lie à une ferrure scellée dans le béton au pied de l'arbre, mais est-ce là une chaîne? De quoi il se nourrit est un autre mystère. Il se méfie de ce qu'on lui jette et semble voir dans le monde qui nous entoure de ses chicanes les résidus virulents d'un bonheur bêtement gâché. Comment expliquer l'inexplicable? Il est en soi un rejet de la raison".


La raison n'a pas grande place dans les récits de Boualem Sansal. Tout est absurde et présenté comme tel, et son intrigue se résume généralement à un maelstrom de situations entrecroisées dans lequel se débattent quelques personnages qui errent à la recherche d'un sens absent. Mais pour le lecteur, chaque part de ce maelstrom fait sens, c'est l'ensemble qui a échappé à tout contrôle. Ce qui résulte s'avère un formidable gâchis, dont les causes se perdent dans la confusion d'un passé trouble que chacun récupère comme il le souhaite. Se révèle partout la formidable acuité d'un regard plein de lucidité, qui a choisi la voie de la résistance et en paie aujourd'hui le prix.

BigDino
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le 30 janv. 2025

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