le 18 août 2023
Laide-Île-en-Mer
L'île des enfants perdus (1937), resté à l'état de projet, et La fleur de l'âge, inachevé, sont deux films maudits de Marcel Carné, coécrits avec Jacques Prévert. L'histoire des deux scénarios était...
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Quand Sorj Chalandon puise dans son propre vécu pour imaginer ce qu'est devenu un enfant truand dont personne ne sait ce qu'il est devenu suite à son évasion de la prison de Belle-Île-en-Mer.
Un chef-d'œuvre de littérature française, qui m'a fait découvrir une passion pour Sorj Chalandon et qui plaira surtout aux personnes qui sont des révoltées dans l'âme. J'avertis cependant les personnes qui sont sensibles à la violence, certains des faits racontés sont un peu durs.
C'est le premier livre que j'eus lus de cet auteur et je dois dire que c'est un véritable coup de cœur Dès le début du récit, on sent dans le rythme de l'écriture et dans les faits qui sont relatés une violence inouïe. C'est brute. Acéré. Sans pitié. Alors que l'on croit avoir déjà vu (ou plutôt lu) le plus incroyable, on n'est jamais au bout de nos surprises. Sorj Chalandon trouve toujours le moyen de relancer l'intrigue, d'introduire de nouveaux mystères qui nous tiennent en haleine jusqu'à la dernière page.
Le récit de cette histoire est d'autant plus glaçant qu'il est en grande partie inspiré d'une histoire vraie. Il raconte l'histoire du seul évadé de la "colonie pénitentiaire" pour enfants de Belle-Île-en-Mer n'ayant jamais été retrouvé, suite à une mutinerie dans les années 30. Personne n'a jamais su ce qu'il était venu. A-t-il retrouvé la liberté ? Est-il mort en mer ? Seul l'évadé le sait. Alors, pour lui rendre hommage, pour qu'il ne reste pas qu'un jeune truand anonyme et oublié, Sorj Chalandon s'est donné pour mission d'imaginer ce qu'il a pu devenir. Il l'a appelé Jules Bonneau, un nom qui n'a pas été choisi au hasard car sa sonorité douce et ronde vient contraster avec la dureté de son surnom "La Teigne". Une dichotomie qui évoque le double visage de l'enfant qui se montrait dur et violent pour survivre dans ce monde de brutes, mais qui au fond de lui a autant — si ce n'est plus — d'humanité que les habitants de l'île.
Cette ambivalence à la limite de la double identité trouve son acmé vers le milieu du récit (ATTENTION SPOILE) :
« J'ai inspiré fort. J'avais la bouche en carton. J'ai fermé les yeux. Je venais de comprendre. J'allais voler la vie de Ronan, l'héritage de Sophie et la paie de l'équipage.
— Et alors ? a interrogé La Teigne.
— C'est un coup en vache, je lui ai répondu.
[...]
J'ai rangé le rouleau de billets dans la vieille boîte de biscuits. Sur le couvercle et les côtés, des gravures de noces bretonnes, avec les danses et des binious. La rouille avait rongé le sourire du marié. J'ai refermé le trésor, grimpé sur la chaise. Longtemps, je suis resté comme ça, une main sur le couvercle, le regard tourné vers le sol.
Je ne pouvais pas.
Je voyais les pêcheurs courbés sur leur filet, le sourire d'Alain, le regard de Pantxo. Ronan, qui me rendait mon couteau avec délicatesse. Ses yeux, sa voix.
Je ne pouvais pas.
J'ai rangé la carte marine dans l'armoire de fer. Les cuillères dorées dans leur tiroir. J'ai redressé l'horloge. J'ai vidé mon reste de vin. J'ai lavé le verre. Je suis retourné m'asseoir à la table à manger. [...] La Teigne grimaçait dans mon dos. Il riait, dansait comme un damné, sortait des billets de ses poches et me les j'étais à la figure. Il m'a entouré du bras.
— Tu es mieux que moi, Bonneau ! C'est ça, hein ? Il jonglait avec les couverts en or.
— Tu te crois plus honnête que nous tous ?
Et puis il a froncé les sourcils et s'est précipité sur moi, couteau levé. [...] J'ai crié.
— Qu'est-ce qui t'arrive, le mousse ? Ça ne va pas ? Le patron, immense, au milieu de la pièce.
Je m'étais endormi. » (p. 205-208).
Fin du spoile.
On trouve dans ce roman très bien documenté des références à des classiques du genre comme « Les Misérables » de Victor Hugo, « L'enfant », de Jules Vallès et le poème « La chasse à l'enfant » de Jacques Prévert. En ce qui concerne ce poème, il faut savoir qu'il est inspiré des faits qui sont relatés dans ce récit. Jacques Prévert en a été témoin à l'époque, alors qu'il était en voyage sur l'île du Morbihan qui n'avait à l'époque pas encore l'aura touristique d'aujourd'hui. Il a alors mis à l'écrit les sentiments de révoltes et d'indignation que ce fait divers a réveillé en lui pour donner l'un de ses premiers poèmes. En témoigne cet extrait (sans spoile) du roman “ — Et je vais l'appeler comme ça, mon poème : « La chasse à l'enfant. » Alain m'a regardé. — Pas mal, hein ? ”
Auréolé par le Prix Patrimoines 2023 ainsi que du Prix du Meilleur Livre 2023 par le Magazine Lire et nommé pour le Prix Renaudot 2023, ce livre est à mettre entre toutes les mains, c'est d'utilité publique. Comme quoi, les chefs-d'œuvre de littérature française ne sont pas forcément de vieilles antiquités poussiéreuses !
Je recommande chaudement aux personnes désireuses d'en savoir plus sur ce roman et sur l'auteur l'interview de Sorj Chalandon par la Laibrairie Mollat ayant eu lieue à l'occasion de la sortie de L'enragé.
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Créée
le 14 juil. 2025
Modifiée
le 14 juil. 2025
Critique lue 13 fois
le 18 août 2023
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