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Lorsque le récit commence, un voyageur à cheval arrive à l’auberge du taureau rouge, à l’orée de la lande de Lessay, dans le Cotentin. Il y rencontre un fermier, maître Tainnebouy, qui accepte de le guider à travers la lande. Au cours de leur périple, le fermier se met à raconter à son compagnon l’histoire de l’abbé de la Croix-Jugan.
Cet abbé fut naguère un chouan qui, suite à une défaite face aux républicains près de St Lô, décida de se suicider. Recueilli et soigné par une vieille femme, il survécut mais les républicains le retrouvèrent et le défigurèrent de façon abominable. Après-guerre, on le vit réapparaître aux vêpres de l’église de Blanchelande, enveloppé dans un capuchon noir. Le chouan, devenu prêtre, fascina la belle Jeanne de Feuardent, femme d’un riche propriétaire terrien. Succombant à un attrait incontrôlable pour cet homme à l’horrible figure, Jeanne devint l’ensorcelée, celle dont la mort engendra les pires tragédies...

La découverte de l’univers de Barbey d’Aurevilly fut un vrai choc. Étrange, inquiétant, sauvage, son récit sans concession exacerbe la violence des passions amoureuses. A l’évidence, le bonhomme entretenait une fascination pour le sacrilège, l’horrible (le visage du prêtre) et les forces occultes (les bergers errant sur la lande aux pouvoirs de sorciers). La lisière du fantastique est aussi par moment allègrement franchie, notamment lors de l’épisode du miroir. L’écriture est à la fois précise, expressive et tout en tension. Il y a bien quelques longueurs mais les événements marquants sont si nombreux qu’à chaque fois que le propos semble s’enliser, l’intérêt du lecteur est relancé par un coup de théâtre. La violence est omniprésente et s’accompagne d’un refus de toute morale. Une forme d’outrance et d’insolence propre au dandysme qui sonne comme un défi adressé au bon goût. Et que dire des personnages : point de tiédeur ou de demi-mesure. Du prêtre à Jeanne en passant par le mari trompé, les sorciers et même la Clotte, vieille femme paralytique qui sera lynchée sur la place publique, tous sont animés d’une force de conviction absolument remarquable et représentent des figures marquantes qu’il est difficile d’oublier.

Je suis sacrément content d’avoir plongé sans retenu dans ce bouillonnement des passions saupoudré d’un zeste de surnaturel où la morale n’a pas sa place. La violence de l’écriture de Barbey, surprenante et sulfureuse, m’a, je dois l’avouer, ensorcelé au point que j’ai hâte de poursuivre la découverte de son œuvre avec le recueil de nouvelles Les diaboliques (tout un programme !).
jerome60
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le 31 mars 2013

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