Galerie d'autoportraits cyniques,



L'Erreur est Humaine est un recueil de nouvelles comiques, grinçantes, au coeur desquels le cinéaste Woody Allen se met allègrement en scène sous les masques de divers petits personnages stéréotypés de la petite bourgeoisie juive de New York, pathétiques de faiblesses, de bêtise, de couardise, d'entêtements imbéciles. Le tout raconté toujours sur un ton



faussement naïf et franchement décalé



fait régulièrement naître le sourire aux détours de bons mots, d'ironies et de sarcasmes venant mettre à nu les vérités cyniques d'une certaine société contemporaine en jouant à merveille de tendresse dans l'usage de clichés éculés.



Dans le cadre d'un programme de remise en forme visant à réduire mon
espérance de vie à celle d'un mineur du dix-neuvième siècle, je
faisais mon jogging l'été dernier sur la Cinquième Avenue.



Woody Allen a l'art de dépeindre les décors en quelques traits en y installant cette espèce de désillusion morne qui habille son oeuvre cinématographique derrière la légèreté résolument optimiste de ses personnages principaux, parfois naïfs même si l'auteur ne l'est lui jamais. New York y passe, mais c'est dans les détails, dans les réminiscences d'un restaurant, que naît



l'univers communautariste, et tout petit, étroit,



où évoluent ces personnages de perdants pathétiques. De ce couple déchu de son monde parce que leur jeune fils a été Recalé à l'admission d'une prestigieuse école maternelle aux Infortunes d'un Génie Méconnu entraînant celles de son psychiatre, de la phobie des roulettes de son Dentiste Mystérieux à Manhattan à la haine viscérale de ces escrocs du bâtiment qui transforment tout projet en Chantier Infernal, l'auteur raconte son univers citadin. Et pose son regard aussi tendre que cynique, doucement amer sans jamais désespérer, sur ses contemporains autant que sur lui-même.



Elle se retira dans sa chambre et pris un amant. Elle eut du mal à la
cacher à Boris Ivanovitch. Celui-ci dormait en effet dans la même
chambre et il demanda à plusieurs reprises qui donc était cet homme à
côté d'elle.



Fidélité, confiance, foi et superstition, terreurs et appréhensions, l'échec et le doute toujours en ligne de mire, tout y passe des travers de petites gens normaux, de messieurs tout-le-monde rongés par les rêves de gloire, l'insécurité, l'ambition patiente ou l'absence relative, candide parfois, imbécile souvent, au monde qui les entoure.



Tandis que la mégalomanie architecturale de ma chère et tendre
prenait des proportions de plus en plus délirantes, mon portefeuille
se mit à palpiter dans ma poche de poitrine, tel un flétan pris à
l'hameçon.



Tandis qu'il s'étend avec la tendresse comique de celui qui sait rire de ses propres défauts, de ce qui dans son parcours le pousse chaque jour à se remettre en question, le facétieux conteur érode les clichés jusqu'à l'imagerie débridée avec



une abondance de bons mots et de situations incongrues,



ridicules et dépaysantes. C'est l'humain à nu qui se livre derrière la parade du clown littéraire, humble mais certain de son aptitude à savoir s'exprimer avec un recul drôle mais sans condescendance. Le spectacle du ridicule a beau assurer la mécanique huilée du récit comique, l'auteur sait toujours ce qu'il dévoile de ses doutes et de ses questionnements en rassurant le lecteur sur l'importance toute relative à y donner.


C'est encore le cas dans Le Figurant Ravi, où l'aventure vient prendre sa part dans l'équilibre incertain du recueil :



Je fus hissé sur une épaule. On m'emmena. C'était toutefois compter
sans ma formation poussée en arts martiaux. Soudain je sautai au sol
et me déroulai tel un serpent, décochant un coup de pied éclair qui,
heureusement pour mes ravisseurs, n'atteignit personne. En revanche,
le mouvement m'entraîna directement dans le coffre ouvert d'une
fourgonnette qui m'attendait, et dont les portes furent immédiatement
fermées à clé. Entre la rudesse de la chaleur indienne et la force
avec laquelle ma tête heurta la défense d'éléphant qui se trouvait
dans la malle, je perdis connaissance. Je repris mes esprits un peu
plus tard dans le noir, tandis que le véhicule bringuebalait sur un
chemin cahoteux, sans doute une route de montagne. J'eus alors recours
à des exercices respiratoires appris en cours de théâtre et réussis
ainsi à rester calme six longues secondes consécutives. Après quoi je
crachai un bêlement ourlé de sang et respirai en hyperventilation
jusqu'à retomber dans les pommes.



L'autodérision sue au fil des nouvelles, avec un plaisir simple et non contenu pour qu'au final, ce soit bien le plaisir essentiel du partage qui vienne livrer la première raison de l'ouvrage. L'Erreur est Humaine n'apporte rien d'inconnu à l'oeuvre du cinéaste ni à l'existence de l'homme, mais propose



un plaisir simple de courtes lectures.



Sans être hilarant, ce sont de belles pages souriantes, sans illusion mais pas sans optimisme derrière les portraits d'hommes désabusés, gorgées de jeux de mots et vibrantes d'une tendresse maladive pour l'innocence et la naïveté humaine sous les grondements de la fourmilière inconsciente qu'ils font vivre de leurs petites vies retranchées.

Matthieu_Marsan-Bach
6

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Créée

le 18 déc. 2017

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