Dans les cours de terminale, j'avais souvenir d'avoir vu Max Weber est opposé à Emile Durkheim dans les cours de sociologie de SES, le premier incarnant la méthode "individualiste" et le second la méthode "holiste".


Néanmoins, en relisant cet ouvrage "L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme", c'est bien au schéma marxiste, matérialiste d'explication de l'émergence du capitalisme que Max Weber s'en prend, mettant en avant des facteurs d'explication formant une alternative au primat de l'économie et au rejet de toutes les considérations théologiques ou intellectuelles à un simple substrat "superstructure" venant appuyer l'ordre des conditions économiques. Ces critiques se retrouvent, bien que discrètes, tout au long de l'ouvrage et indiquent bien la cible que Weber a d'abord en tête.

Autre cible en vue, les explications monocausales du capitalisme, Weber énonçant que ce genre d'explication est fausse par essence.


Quelle schéma alternatif propose-t-il? Contrairement à une idée répandue, ce n'est pas que le capitalisme aurait émergé tout armé des régions de confession réformée.


Weber part simplement de deux constats:

- il y a une différence de richesses entre protestants et catholiques en Allemagne, en faveur des premiers, alors même qu'en principe, ces derniers étant minoritaires et exclus du pouvoir politique, ils devraient être surreprésentés dans les leviers économiques;

- si l'avidité du gain a toujours été présente partout et de tout âge, tout comme le souhait d'enrichissement personnel, ce trait ordinaire ne permet pas de comprendre de manière satisfaisante la recherche de profit du capitalisme, dont les mécanismes ne se retrouveraient alors (Weber publie ses écrits en 1904) qu'en Occident.


C'est armé de ces deux pistes que Weber entreprend d'essayer d'expliquer en quoi c'est l'éthique des individus et des sociétés induites par les différents courants de pensée religieux réformés que la naissance du capitalisme s'explique et élabore son système de valeurs que Weber résume par une citation longue mais instructive de Benjamin Franklin en début d'ouvrage.

Et de fait Max Weber parvient à bien isoler, dans une profusion de discours théologiques, un système de primes et de récompenses, encouragé par le calvinisme, le puritanisme et les courants sectaires méthodistes ou baptistes - par opposition aux catholiques, mais aussi aux luthériens plus timorés - qui mettent en avant le travail, encouragent l'enrichissement comme signe de la prédestination et de la réalisation de la gloire de Dieu, et prêchent un refus marqué de dilapider sa richesse pour sa jouissance personnelle, tout ce qui est dépensé inutilement étant refusé à Dieu. Il décrit également le système très étroit de contrôle social de ces mouvements qui incitent les individus à intérioriser ces moeurs pour s'appuyer sur les réseaux qu'il fournissent. Enfin il pointe les valeurs traditionelles, peu compatibles avec le capitalisme, que ces mouvements rejettent, en particulier la mendicité ou la contemplation théologique, mais aussi la limitation du travail à la fourniture de ses besoins, le gain de superflu - investi et non dépensé - étant oeuvre à la gloire de Dieu. Parmi les ruptures mises en avant de trouve aussi la perte de tout pouvoir magique associé au prêtre et au sacerdoce divin - notamment en ce qui concerne la communion qui précipitera une formule de Weber appelée à la postérité: "le désenchantement du monde".



Sur le plan formel, l'ouvrage est dense et repose sur moultes notes de bas de page que j'affectionne, mais qui rendent la lecture moins aisée que d'autres oeuvres, sans compter les explications sommaires en fin d'ouvrage pour éclaircir les très nombreux courants, synodes pu théologiens sur lesquels Weber s'appuie (Tauler, Fox, Zwingli, Baxter et autres Mélanchthon...). Cela donne quelques longueurs notamment sur les diverses subtilités des sectes protestantes dont la description aurait pu gagner en concision.

Ce qui n'empêche pas l'ouvrage de mériter toute sa place de "classique" et de rester d'une lecture globalement agréable et instructive.

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le 16 mai 2022

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