Qui n'a jamais rêvé, en lisant un livre, de faire partie intégrante de l'univers ainsi créé? C'est le propos de L'histoire sans fin (oui je sais, tout le monde connaît, moi je découvre). Le jeune Bastien lit un livre qui le tient en haleine, et c'est au sens propre qu'il va entrer dans l'histoire, jusqu'à la créer lui-même.
Le livre est construit en deux parties : le première est celle d'Atréju, jeune héros auquel Bastien aimerait s'identifier, en quête d'un moyen de sauver le Pays fantastique, dont des pans entiers tombent dans le néant. L'histoire sans fin, plus qu'un ramassis d'action convenue, se présente sous le signe de l'errance, avec son rythme propre : Michael Ende suit la voie de David Lindsay et de son Un voyage en Arcturus, voire celle de Lord Dunsany. On déambule avec le héros dans un monde dont on va découvrir l'étrangeté en même temps que le personnage. C'est un choix qui peut sembler étrange, pour de la littérature jeunesse, mais ne sous-estimons pas la puissance du merveilleux chez les enfants, qui se suffit à lui-même.
Rappelons également pourquoi L'île au trésor est un classique intemporel, plus que tout autre roman de piraterie? Tout simplement pour l'idée géniale que c'est Jim Hawkins qui vit cette aventure comme le lecteur, qui est amené ainsi à une forte identification, d'autant plus s'il est d'un âge proche de celui de Jim. Gageons que beaucoup de lecteurs ont dû s'identifier à Bastien, caché dans son grenier et entrant peu à peu dans le Pays fantastique.
L'ouverture du livre l'Histoire sans fin, avec ses messagers venus de tous les peuples convergeant vers cette étrange tour d'ivoire sur laquelle règne une impératrice au pouvoir d'autant moins connu qu'elle ne l'exerce pas, est magnétique. Tout de suite, comme Bastien, on est happé dans cet univers.
Vient ensuite la seconde partie, où Bastien est cette fois le héros, partie prenante du Pays fantastique. Elle peut dérouter, bien qu'elle offre à n'en pas douter des images somptueuses. Par exemple Graograman, la mort multicolore, que nul ne peut contempler sans mourir. Je ne suis pas loin de penser qu'il s'agit là des meilleures pages du roman. On y trouve aussi des références à la littérature médiévale de chevalerie, créant un lien qui part de Chrétien de Troyes (antérieur même), à la fantasy actuelle. Autant dire que l'adulte trouvera aussi, dans L'histoire sans fin, de quoi le satisfaire. C'est d'ailleurs ce lien qui justifie le titre, car cette histoire sans fin du titre apparaît comme la somme de tous les romans d'aventures jamais écrits. Au sein de cette histoire déjà, de nombreux embranchements naissent, donnant naissance à d'autres histoires à peine évoquées : "Mais cela est une autre histoire, qui sera contée une autre fois", nous dit-on souvent.
Cette deuxième partie est surprenante : pour croire vraiment à sa condition actuelle de héros sans peur et sans reproche, Bastien doit abandonner peu à peu les souvenirs de celui qu'il est dans "la réalité". Or, autant dire que cela consiste à abandonner son épaisseur d'être humain. De là vient une seconde partie où Bastien se révèle certes invulnérable, comment pourrait-il en être autrement alors que c'est lui qui crée l'histoire, mais aussi plein de défauts qu'Atreju n'avait guère. Lui qui était un petit garçon introverti, moqué par ses camarades, cède à la griserie du pouvoir, malgré les avertissements de ses proches. C'est donc un conte initiatique que nous propose cette deuxième partie. Bastien doit apprendre à redevenir un enfant, à apprécier le merveilleux pour lui-même. Et cette expérience lui servira dans le "monde réel", car c'est une chose bien établie qu'il y a des livres qui marquent.
L'histoire sans fin est donc un livre dédié à la puissance de l'imaginaire, au pouvoir des livres, et une déclaration d'amour à tout une littérature d'aventure. Un livre pour lequel le mot fantasy n'est pas un vain mot, une simple étiquette accrocheuse.
Comme de juste, un film (culte) a été tiré de ce roman, un film que je regarderai prochainement. "Mais cela est une autre histoire, qui sera contée une autre fois"