Je vous parle aujourd’hui de L’homme qui lisait des livres de Rachid Benzine, un court roman qui évoque la Palestine et la puissance des mots pour survivre au chaos. Entre Gaza et les grandes voix littéraires, ce texte interroge la mémoire, la dignité et notre rapport à la fiction quand elle s’empare des drames humanitaires. Je vous partage ici mes réflexions, mes réserves, et pourquoi ce livre mérite qu’on le lise.
Comment débute le livre ?
À Gaza, un jeune photographe français, Julien Desmanges, sort de l’hôtel international où il réside et marche dans les rues. Il décrit l’un des quartiers martyrisés, façades éclatées et éventrées, fenêtres aveugles, trous béants, gravats, voitures brûlées. Arrivé dans un secteur moins touché, il découvre un homme d’une soixantaine d’années qui lit devant sa librairie. Il s’apprête à le prendre en photo quand le libraire sourit et l’invite à boire un thé en sa compagnie.
Le vieil homme lui explique alors qu’il n’aime pas l’idée de capturer un instant d’une existence sans connaître ce qu’il y a derrière. Julien et Nabil Al Jaber se rencontrent régulièrement et c’est la vie d’un Palestinien qui se déroule devant nous.
Qu’en ai-je pensé ?
Fiction et désastre
Bien sûr que ce roman m’a touchée, mais pas autant qu’Apeirogon de Colum McCann. Je ressens en effet quelque chose d’artificiel et d’indécent quand je lis une fiction sur des victimes de désastres humanitaires. Peut-être ai-je peur d’être manipulée ? Et, dans une certaine mesure, n’est-ce pas ce qu’essaie de faire la littérature engagée ? Mais Rachid Benzine répond partiellement à cette question.
Il évoque d’abord le livre d’André Malraux, La condition humaine. Le roman se déroule en 1927, à Shanghai, en Chine, en pleine insurrection communiste ; il interroge ce que signifie être humain dans un monde marqué par la violence, la révolte et la mort. Et cela correspond tout à fait à la Palestine, et au récit, traversé par les choix des uns et des autres, lutte armée, fuite ou résignation. Nabil prête le livre à Julien, mais, hélas, nous n’en entendrons plus parler.
Littérature et désastre
J’ai trouvé dommage qu’il n’y ait pas eu plus de dialogues entre le photographe et le libraire sur La condition humaine, ne serait-ce que parce que ce livre justifie l’écriture de fiction sur les désastres humanitaires. Ils permettent de mieux comprendre ce que les chiffres nous disent sans susciter l’émotion.
Nabil Al Jaber évoque aussi Victor Hugo, le poète palestinien, Mahmoud Darwich, (1941-2008), le poète persan Omar Kayyâm (1048 ? — 1131 ?) et bien d’autres encore. Mais revenons à l’histoire du libraire.
Il n’y a pas de haine dans son discours, il voit la vie comme un chaos, dont personne ne sait très bien qui est le responsable :
Une soixantaine d’habitants a ainsi été massacrée. Surtout des hommes, mais aussi quelques femmes et enfants. Pour venger des juifs tués par des Arabes à la raffinerie de pétrole, paraît-il. Des Arabes qui eux-mêmes avaient été victimes des juifs de l’Irgoun. Cette terre est une litanie de représailles sur représailles, de haines empilées, de tristesse recouverte de tristesse.
Lire la chronique