Il en faut du talent pour donner la vie à un meurtre. Il en faut encore plus pour réussir avec une maestria incroyable la résurrection de tout un village, de tout un monde et de toute une faune de gens de la montagne qui composent une symphonie étrange et bizarre. Car c'est bien d'un meurtre sauvage dont il est question, de celui d'une femme, d'une postière de Montréal-La-Cluse, moderne et indépendante, qui a été poignardée alors qu'elle était enceinte de cinq mois, pour un butin dérisoire : à peine 3 000 euros. C'est l'histoire d'un mystère insoluble, de traces ADN énigmatiques et d'une famille endeuillée. C'est l'histoire de ce petit village qui fait partie de la Plastic Valley et qui se pâme dans une sorte de demi-vie : ni tout à fait dynamique, ni tout à fait morte, avec ses puissants, ses mal-aimés et ses marginaux. C'est l'histoire d'un acteur qui n'a jamais quitté ce rôle qui lui a sauvé la vie et qui, après avoir été le coupable idéal, comme l'Etranger de Camus, devient innocent et soudain disparait, comme pour revenir à la lumière une ultime fois. C'est l'histoire d'une bande de drogués touchants et malheureux qui ne parviennent pas à s'extraire de leurs destins et qui s'effondrent comme des châteaux de carte. C'est l'histoire d'une certaine France, d'une certaine ruralité, d'une certaine marginalité et c'est aussi l'histoire d'une justice aveugle qui semble ne toujours pas avoir retenu les leçons qui lui sont pourtant souvent faites. C'est l'histoire d'un ambulancier, bien sous tout rapport, qui se révèle être le véritable inconnu de la poste, ou peut-être pas. Car tout, dans cet incroyable roman de Florence Aubenas, se révèle être une transfiguration permanente : pas seulement l'histoire d'un acteur, mais de plusieurs, qui jouent ensemble, magnifiques et honteux, une effroyable tragédie. Comparer Florence Aubenas à Truman Capote n'est donc pas un abus de langage ou une forme d'erreur : on retrouve cette même volonté de dépeindre dans toute sa complexité non pas un crime en lui-même, mais l'ensemble de son contexte pour faire ressortir d'une peinture vermeille, non pas le lucre et le sadisme, mais la beauté de l'Humanité. Une merveille.

PaulStaes
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Livres lus

Créée

le 14 mai 2021

Critique lue 304 fois

3 j'aime

Paul Staes

Écrit par

Critique lue 304 fois

3

D'autres avis sur L'Inconnu de la poste

L'Inconnu de la poste
Cannetille
8

Une enquête troublante qui se lit comme un roman

En 2008, la postière d’un village de l’Ain est retrouvée assassinée de vingt-huit coups de couteau sur son lieu de travail. L’enquête piétine et finit par déboucher en 2013 sur la mise en examen de...

le 1 mai 2021

6 j'aime

L'Inconnu de la poste
Freddy-Klein
9

Critique de L'Inconnu de la poste par Freddy Klein

Dans son dernier livre, Florence Aubenas part d'un fait divers dans lequel de près et de loin sont témoins quelques jeunes gens qui vivent en marge dans un village du Haut-Bugey. L'un d'entre eux,...

le 7 sept. 2022

6 j'aime

1

L'Inconnu de la poste
feursy
9

Cold case

Les lieux : Un village de montagne, une vallée où la désertification fait des ravages, la maternité, la mutuelle sociale agricole tout a été délocalisé. Les trains passent, mais ne s'arrêtent plus...

le 27 févr. 2021

5 j'aime

1

Du même critique

La Tresse
PaulStaes
3

Niaiseries, caricatures et banalités.

Laetitia Colombiani a écrit un livre de magasines féminins bas de gamme, qui ferait presque rougir Amélie Nothomb ou Marc Lévy par sa médiocrité. Pourtant, l'envie était très forte : une publicité...

le 2 juil. 2017

23 j'aime

10

Orgueil et Préjugés
PaulStaes
5

Les aventures niaises et mièvres des petites aristocrates anglaises

Âpre lecteur de classiques en tout genre, admirateur absolu de tous les stylistes et grands romanciers des temps perdus, je m'attaquai à Orgueil et Préjugés avec l'espérance d'un nouveau coup de...

le 21 sept. 2022

17 j'aime

11