Il en faut du talent pour donner la vie à un meurtre. Il en faut encore plus pour réussir avec une maestria incroyable la résurrection de tout un village, de tout un monde et de toute une faune de gens de la montagne qui composent une symphonie étrange et bizarre. Car c'est bien d'un meurtre sauvage dont il est question, de celui d'une femme, d'une postière de Montréal-La-Cluse, moderne et indépendante, qui a été poignardée alors qu'elle était enceinte de cinq mois, pour un butin dérisoire : à peine 3 000 euros. C'est l'histoire d'un mystère insoluble, de traces ADN énigmatiques et d'une famille endeuillée. C'est l'histoire de ce petit village qui fait partie de la Plastic Valley et qui se pâme dans une sorte de demi-vie : ni tout à fait dynamique, ni tout à fait morte, avec ses puissants, ses mal-aimés et ses marginaux. C'est l'histoire d'un acteur qui n'a jamais quitté ce rôle qui lui a sauvé la vie et qui, après avoir été le coupable idéal, comme l'Etranger de Camus, devient innocent et soudain disparait, comme pour revenir à la lumière une ultime fois. C'est l'histoire d'une bande de drogués touchants et malheureux qui ne parviennent pas à s'extraire de leurs destins et qui s'effondrent comme des châteaux de carte. C'est l'histoire d'une certaine France, d'une certaine ruralité, d'une certaine marginalité et c'est aussi l'histoire d'une justice aveugle qui semble ne toujours pas avoir retenu les leçons qui lui sont pourtant souvent faites. C'est l'histoire d'un ambulancier, bien sous tout rapport, qui se révèle être le véritable inconnu de la poste, ou peut-être pas. Car tout, dans cet incroyable roman de Florence Aubenas, se révèle être une transfiguration permanente : pas seulement l'histoire d'un acteur, mais de plusieurs, qui jouent ensemble, magnifiques et honteux, une effroyable tragédie. Comparer Florence Aubenas à Truman Capote n'est donc pas un abus de langage ou une forme d'erreur : on retrouve cette même volonté de dépeindre dans toute sa complexité non pas un crime en lui-même, mais l'ensemble de son contexte pour faire ressortir d'une peinture vermeille, non pas le lucre et le sadisme, mais la beauté de l'Humanité. Une merveille.