Ça m’apprendra à lire un roman parce que j’aime ce que son traducteur a écrit. En l’occurrence, l’Oiseau bariolé et l’œuvre de Maurice Pons n’appartiennent pas à la même catégorie de livres. Je ne parle pas de genre, mais bien de catégorie : quelle que soit la connotation qu’on attribue au mot littéraire, le roman de Jerzy Kosinski est moins littéraire. Je ne parle pas non plus de qualité, même si au demeurant il y a une différence de qualité.
Ce qui finit assez vite par frapper dans l’Oiseau bariolé, c’est la lourdeur des symboles qu’on y trouve : les chaufferettes comparées à des comètes, le bestiaire, le mutisme du narrateur… À cet égard, la préface de l’auteur enfonce un certain nombre de portes ouvertes : était-il utile de préciser que le roman « présent[e] une topographie à ceux qui percevaient le monde comme une bataille entre chasseurs d’oiseaux et oiseaux » (p. 27 dans une vieille édition « J’ai lu »).
Je crois d’ailleurs que la préface propose une explication de ce qui rend le récit particulièrement pesant : le roman, pour Kosinski, est une gigantesque analogie – « Le premier livre du cycle devait traiter la plus universellement accessible de ces métaphores sociales : l’homme serait dépeint dans son état le plus vulnérable, celui d’un enfant, et la société sous la forme la plus meurtrière, en état de guerre. J’espérais que la confrontation entre l’individu sans défense et la société toute-puissante, entre l’enfant et la guerre, représenterait la condition anti-humaine dans son essence même » (p. 9-10).
De même, le rôle majeur joué par la superstition et la rumeur n’est pas traité avec la plus grande des finesses : « Le charpentier et sa femme étaient persuadés que mes cheveux noirs allaient attirer la foudre sur leur ferme. Par les nuits brûlantes et sèches de l’été, lorsque le charpentier m’effleurait les cheveux avec un peigne en os, des étincelles d’un bleu-jaune jaillissaient de ma tête. Il les appelait les “poux du diable” » (p. 90), c’est le genre de passages qu’on retrouve à longueur de chapitres. Ailleurs : « Pour Olga, c’est une horde de fantômes qui sous l’apparence de corbeaux était venus goûter mon sang pour s’assurer que j’étais bien l’un des leurs : sinon, pourquoi ne m’auraient-ils pas arraché les yeux ? » (p. 58) – La phrase illustre par ailleurs un mélange des voix récurrent dans l’Oiseau bariolé.
Une autre source de lourdeur, c’est la noirceur extrême du monde qui y est évoqué. Certes, « les événements réels avaient été beaucoup plus brutaux que les fantasmes les plus bizarres » (p. 7), certes évoquer la brutalité amène généralement à la noirceur. Il me semble d’ailleurs que cette atrocité est encore accrue par l’absence totale de discours direct et, paradoxalement, par un univers de conte – des repères temporels et spatiaux floutés, un narrateur anonyme – qui mettent en place une sorte d’écran.
Du reste, ce porte-à-faux entre conte et roman n’est pas la seule source d’ambiguïtés du récit – mais je ne crois pas que ces ambiguïtés-là soient sources de richesse. Qu’un enfant, face aux horreurs d’une guerre, affirme « Je cessai d’en vouloir à mon prochain. J’étais seul à blâmer » (p. 171), je n’y vois aucun problème de vraisemblance – c’est cette culpabilité-là qui tait les incestes et la maltraitance, et après tout elle structure tout l’Enfant de Jules Vallès. Mais ici le point de vue de l’enfant n’évolue pas : accueillant également réel et fiction, paroles de bon sens et délires de toute sorte jusqu’à la fin du récit, il n’apprend rien – même de cela : « Les livres me fascinaient. […] On y pénètre les pensées et les désirs de personnages que, dans la vie, on aurait simplement croisés sans les connaître » (p. 233).


Et en relisant cette critique, je m’aperçois que lus objectivement, les éléments d’analyse que j’ai proposés expliquent fort mal en quoi l’Oiseau bariolé serait raté.

Alcofribas
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le 6 févr. 2020

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