Ce qu'on ne peut pas enlever à François Bégaudeau, c'est son style très personnel, riche d'un humour décapant, et d'un travail remarquable sur l'oralité, avec des phrases courtes, un rythme saccadé et un ton allusif qui oblige à une attention soutenue - voire à relire certains passages pour ne rien perdre de ses élucubrations.


Multipliant les références à la culture du milieu des années 80 (Madonna, le hard rock, John McEnroe, la rupture des Clash…), voire à la politique et aux événements internationaux, Bégaudeau nous concocte une chronique estivale vendéenne souvent hilarante.
Le héros âgé de 15 ans vit comme une obsession la perte de son pucelage avant l'entrée au lycée, et la totalité des ses actes et pensées sont tournées vers cet objectif, source de stratégies aussi mesquines qu'alambiquées.


Autour de lui se dessine une communauté provinciale bigarrée, souvent pathétique, qui permet à l'auteur d'afficher ses talents d'observation, croquant sans pitié mais avec une délectation communicative une galerie de personnages pittoresques, qui nous rappelleront à tous des rencontres plus ou moins anciennes (le copain vanneur, l'idiot du village, le bistrotier alcoolo, le pince-sans-rire qui ne décolle pas du baby-foot…).


Si brillants soient les traits d'humour et les tournures littéraires de Bégaudeau, on regrettera en revanche le côté redondant des ces procédés ("la mère Baquet dit que", "je vois ça d'ici", les allusions marxistes…).
D'autre part, "La blessure, la vraie" finit par donner l'impression de tourner en rond, car le récit ne décolle pas - ce qui correspond certes à la stagnation du héros dans sa quête.


Et c'est alors que survient la dernière partie, qui laisse le lecteur franchement désappointé au moment de reposer le bouquin. En rupture complète avec ce qui a précédé, une péripétie cauchemardesque permet effectivement à l'histoire de s'emballer enfin, mais dans une direction improbable et assez incompréhensible.
Le personnage du cinéaste apparaît insupportable (avec là encore des propos extrêmement répétitifs), et nous embarque vers un dénouement en forme de boucle temporelle auquel j'avoue être incapable de donner une explication satisfaisante, si ce n'est "qu'on ne revient pas de 1986".


Je reste donc assez perplexe au final, car j'ai beaucoup aimé ce roman assez bref, mais avec une réserve de taille sur le sens qu'il convient de lui donner.
Par ailleurs, je reste très surpris que le film de Kechiche ("Mektoub, my love (Canto Uno)") soit inspiré du livre de Bégaudeau, car les liens entre ces deux œuvres me paraissent prodigieusement minces.

Val_Cancun
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le 27 sept. 2019

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Val_Cancun

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