Je ne vais pas faire une longue critique mais je suis franchement content d'avoir récemment fini La Crise de la Culture d'Hannah Arendt. Sans aucun doute, ce livre fait partir des énormes références de l'autrice, un des plus connus du grand public avec Eichmann à Jérusalem. Or, il est déjà remarquable qu'Arendt est typiquement une autrice que j'ai lu en mode "concours". J'ai énormément travaillé La Condition de l'Homme moderne, ouvrage que j'ai lu et relu par bout des dizaines de fois et que je travaille encore chaque année en classe. Pour autant, ce fut une lecture de concours, où je sautais quelques pages bien souvent. De même, je n'ai travaillé que le troisième volume des Origines du Totalitarisme, sans prendre le temps d'une lecture en entière même si là encore je l'ai beaucoup travaillé. Enfin, j'ai lu La philosophie de l'existence, un recueil d'articles, quand je commençais à faire cours, décidant d'en donner un à lire à ma classe de Terminale Littéraire.


Arendt c'est cette autrice que je lis avant tout pour travailler mais à laquelle je reviens souvent tant sa pensée du travail et de la modernité est à la fois d'une finesse et d'une profondeur qui dépasse tous les pense-petits qui nous entourent et en même temps, elle reste dans du concret, elle ne perd jamais de vue l'expérience de vie de l'homme de la rue, ne se perdant pas dans une métaphysique qu'elle connaît et mobilise mais qui ne perd pas le vécu phénoménologique moderne premier de chaque individu.


Or, pour des nouveaux cours, je dois lire l'article Vérité et Politique, contenu dans ce tome. C'est donc avec joie que je suis venu à La Crise de la Culture. 350 pages plus tard, quel chemin et quel voyage !

Ce livre démontre à quel point Arendt en plus d'être une penseuse très fine était une excellente pédagogue. On y découvre tout son talent professoral, sa capacité à mobiliser toute l'Histoire de la pensée et de révéler sous nos yeux son articulation. Dans cet ouvrage, recueil d'articles variés, Arendt montre comment notre société (surtout américaine) est traversée par une double crise (à son époque) : l'éducation et la culture, les deux symptomatiques d'une crise plus fondamentale : celle qui est questionnée par l'autorité et qui conduit à s'interroger sur la notion même de vérité et son usage en politique. Pour comprendre les notions d'autorité et de tradition, au centre de ce livre, c'est bien la notion même d'Histoire qui est à penser. Ainsi, les trois premiers articles forment cette triplette : tradition-Histoire-autorité, suivie d'une triple crise : éducation-culture-vérité avant de réfléchir à l'avenir dans le domaine scientifique de la notion d'humanité.

Je dois dire que c'est la première partie que je trouve la plus somptueuse, permettant de mieux saisir l'Histoire de la pensée et les évolutions derrière. C'est là le plus intéressant pour moi. A l'inverse, l'article que je devais lire Vérité et Politique est, à mes yeux, bien mal à propos, trop intéressée par la dimension métaphysique de la Vérité là où l'on se serait attendu non pas à une interrogation sur les fondements même que la notion de vérité obligeait à construire pour la politique, mais à une réflexion sur l'usage du vrai et du faux en politique. Mais peut-être l'ère de la post-vérité n'était-elle pas encore prévisible dans les yeux si puissants d'Arendt ?

Car quel regard intellectuel !


Brillant à souhait, très référencé, le lecteur n'a pas besoin d'être un fin intellectuel, mais une ignorance totale de Platon, Aristote, Augustin, Machiavel et Hobbes rendra la quasi-totalité du livre illisible. Je vois pas mal de personne critiquer l'ouvrage pour ne pas être assez dans une dimension de conseil. Oui, Arendt constate mais déjà constater avec finesse c'est beaucoup. De même, la philosophie ne demande pas qu'on s'accorde avec les valeurs de l'auteur, mais qu'on voit à quel point la pensée ici est puissante et nous invite à penser avec cette même franchise et force. Arendt y parvient avec la pédagogie du grand professeur.


Un très beau parcours littéraire et philosophique dans ce livre.

mavhoc
8
Écrit par

Créée

le 19 mai 2023

Critique lue 33 fois

mavhoc

Écrit par

Critique lue 33 fois

D'autres avis sur La Crise de la culture

La Crise de la culture
Moizi
6

Platon, Aristote, Kant, Hegel, Marx, Nietzsche & cie.

La crise de la culture est un livre dont j'entends parler depuis longtemps, dont je connais un peu les thèses, mais dont la lecture se révèle fortement décevante parce que c'est plus de...

le 14 févr. 2015

7 j'aime

La Crise de la culture
Tinou
9

Critique de La Crise de la culture par Tinou

La pensée d'Hannah Arendt est étayée par un nombre important de citations accentuant sa richesse et son aspect convaincant. Dommage que ce ne soit pas le cas dans le chapitre sur l'éducation qui...

le 3 août 2011

1 j'aime

La Crise de la culture
mavhoc
8

Lecture de prof

Je ne vais pas faire une longue critique mais je suis franchement content d'avoir récemment fini La Crise de la Culture d'Hannah Arendt. Sans aucun doute, ce livre fait partir des énormes références...

le 19 mai 2023

Du même critique

Monty Python - Sacré Graal !
mavhoc
3

J'ai presque honte de ne pas aimer

Ce que je vais dire va surement sembler un peu bête, mais globalement je chie sur les critiques contemporaines professionnelles. Mon respect va aux avis des membres actifs du milieu du cinéma, ainsi...

le 23 mai 2014

75 j'aime

13

Black Book
mavhoc
5

Public aveuglé

Salué par la critique Black Book nous montre l'amour de Paul Verhoeven pour les scénarios longs sans longueur et les œuvres dotées d'image marquante. L'esthétisme ultra-soignée du film qui est...

le 5 mars 2016

35 j'aime

9

The Crown
mavhoc
7

Anti-binge-watching

Curieuse série que The Crown. Curieuse puisqu'elle se concentre sur la vie d'Elizabeth II, c'est-à-dire La Reine du XXe siècle, mais une reine sans pouvoir. The Crown est une série qui s'oppose à...

le 24 avr. 2019

28 j'aime

2