Patience Portefeux a 53 ans, elle a deux filles qui vivent leur vie, et une mère en maison de retraite qui n'arrive pas à mourir.


Patience vivote en faisant l'interprète au black pour le Ministère de la Justice, principalement dans des histoires de stup'. Il faut dire qu'elle parle couramment toutes sortes de dialectes, rapport à son père qui "avait fait fortune en envoyant ses camions vers les pays dits de merde dont le nom se termine par -an comme le Pakistan, l'Ouzbékistan, l'Azerbaïdjan, l'Iran etc..."


Patience est blasée, elle n'en peut plus des petits trafiquants minables ni des juges qui n'écoutent pas ce qu'on leur dit, alors Patience prend des libertés dans ses traductions, parce qu'après tout, à quoi bon.


Et puis elle s'est attachée à une famille de trafiquants, qu'elle suit comme d'autres les Feux de l'amour, jusqu'au jour où Patience décide d'ajouter un peu de panache à sa vie en s’immisçant dans leurs affaires...


A la suite d'un concours de circonstances, elle se retrouve en possession d'un bon paquet d'herbe de première qualité dont elle est bien décidée à tirer profit.


Patience Portefeux devient alors la daronne.


Hannelore Cayre m'avait déjà réjouie en son temps avec le grinçant Commis d'office, plongée dans le monde cruel des avocats (rappelons que l'auteure est elle-même avocate au Barreau de Paris aka "la jungle"), et récidive aujourd’hui avec sa daronne, personnage désabusé à l'ironie mordante teintée de la juste dose de cynisme.


Hannelore Cayre dézingue à tout va avec un humour acide et irrésistible, à l'image de cette première rencontre entre la daronne et ses petits dealers:



"A peine arrivée au Quick, j'ai immédiatement reconnu mes
interlocuteurs.



Un plaisir des yeux.



Porsche Cayenne aux vitres teintées entourée d'emballages de fast-food
jetés par terre et garée sur une place handicapé, rap et climatisation
à fond, les portières ouvertes - gros porcs avec collier de barbe
filasse sans moustache, pantacourt, tongs de piscine, tee-shirt Fly
Emirates PSG flattant les bourrelets, et pour la touche accessoires
chics de l'été: pochette Vuitton balançant sur gros bide et lunettes
Tony Montana réfléchissantes.



La totale. Un nouvel orientalisme."



Ou encore lorsque Patience évoque son enfance:



"Mon père était PDG d'une entreprise de transport routier, la
Mondiale, dont la devise était Partout, pour tout. "PDG", un mot qui
ne s'emploie plus aujourd'hui pour désigner un métier comme dans Il
fait quoi ton papa? - Il est PDG..., mais dans les années 70 ça se
disait. Ça allait avec le canard à l'orange, les cols roulés en nylon
jaune sur les jupes-culottes et les protège-téléphones fixes en tissu
galonné".



La daronne est un roman noir qui, par définition, brosse une réalité sombre, les dessous obscures d'une époque que connait bien l'auteure.


Elle trace ainsi les contours d'une société lassée, rendue pragmatique par la perte de ses espoirs.


Et c'est ce qui fait de La daronne un grand livre, cette absence totale de jugement sur ce que chacun doit faire pour survivre au monde.


Hannelore Cayre ramène l'humanité à ce qu'elle est: une espèce en compétition pour sa survie.


Assurément un grand roman d'humanisme, dans ce qu'il a de plus terre à terre.

Chatlala
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 14 mai 2018

Critique lue 257 fois

Chatlala

Écrit par

Critique lue 257 fois

D'autres avis sur La Daronne

La Daronne
lireaulit
10

Sans foi ni loi...

La Daronne par-ci, la Daronne par-là et les « tu l'as lu La Daronne ? », ou les « ah, vous ne connaissez pas La Daronne ? »... Ok, le livre ne faisait pas partie de mon...

le 14 juil. 2017

6 j'aime

La Daronne
YvesMabon
7

Critique de La Daronne par Yv Pol

Étrange personnage que cette Patience Portefeux. Interprète de l'arabe au français et vice-versa, elle a été élevée dans une famille pas banale. Son père était dans les "affaires", de celles qui...

le 4 déc. 2017

3 j'aime

2

La Daronne
pikkendorff
7

Un polar vif et drôle pour les vacances et les transports

Vif et drôle. Acerbe parfois, cynique à souhait, voilà un polar pour vos vacances. Patience veuve Portefeux, traductrice-interprète judiciaire le jour et grossiste en cannabis la nuit : 50% flic, 50%...

le 10 juil. 2020

1 j'aime

Du même critique

Vernon Subutex, tome 3
Chatlala
8

Vernon Subutex: le témoin de son temps.

Alors ça y est, c'est fini. Vernon livre son dernier souffle, pourtant pas son dernier mot... Décidément, Virginie Despentes est extraordinaire, d'un humanisme débordant à une époque qui en manque...

le 27 sept. 2017

18 j'aime

1

L'Empreinte
Chatlala
7

De profundis

Je ne pense pas avoir jamais ressenti autant de soulagement à refermer un livre. Sérieusement, il FALLAIT que ça s'arrête... Je ne suis pas particulièrement sensible, enfin, disons pas...

le 6 mars 2019

15 j'aime

1

Né d'aucune femme
Chatlala
10

Printemps vénéneux

Je l'attendais fébrilement, avec un mélange d'impatience et de tristesse, parce que voilà, ça y est, après Grossir le ciel, Plateau et Glaise, Franck Bouysse clôture son cycle des quatre saisons en...

le 4 févr. 2019

15 j'aime