La Débâcle
7.5
La Débâcle

livre de Émile Zola (1892)

9 pour la première partie, 6 pour la fin

"La débâcle" est la suite du roman "La terre", qui se terminait sur l'annonce de la guerre de 1870 et le départ de Jean pour la guerre.

La première partie suit Jean et Maurice, un jeune urbain engagé qui traînait à la fac de droit, dans les rangs de l'armée du camp de Chalons. Cette première partie est la plus difficile, car elle capture la méconnaissance du terrain par les officiers qui s'attendaient à se battre en Allemagne, et l'incertitude quant aux mouvements de l'ennemi. Les signes annonciateurs de la défaite s'accumulent : manque d'esprit de corps de soldats peu préparés, lassitude face au manque d'approvisionnement et aux ordres suivis de contre-ordre (marcher sur Mézières ou retourner sur Paris ?), frustration de ne jamais voir l'ennemi. Pour bien suivre, il est nécessaire de se reporter souvent à la carte en fin de volume. Morts de faim, Jean et Maurice passent chez l'oncle de Maurice, le père Fouchard, un fermier entouré de nombreux personnages sources d'intrigues secondaires, qui incarnent un peu la société française.

La deuxième partie se passe à Sedan, et le récit devient multiphonique. On suit les tribulations de Weiss, un bourgeois soucieux de sa filature de Bazeilles, qui finit dans une maison assiégée (cherchez "musée de la dernière cartouche"). Son épouse, Henriette, la soeur de Maurice, part à sa recherche. Nos deux héros, eux, subissent le feu sur le plateau d'Illy et voient, impuissants, le cercle de fer de l'artillerie prussienne se refermer sur eux. Maurice sauve Jean, et tous deux deviennent désormais inséparables. Chez les Delaherche, des bourgeois de Sedan amis de Weiss, la fabrique est transformée en hôpital militaire. Ce livre se termine sur la reddition française.

La troisième partie suit Jean et Maurice, d'abord prisonniers sur la presqu'île d'Iges, mais qui parviennent à s'échapper grâce à une marchande de pain qui leur fournit des vêtements. Ils se réfugient chez le père Fouchard, qui fait feu de tout bois : il approvisionne des francs-tireurs, cache sa bonne viande pour ne donner que des carcasses gâtées aux Prussiens, rachète les chevaux de l'armée laissés en complète liberté... Jean, blessé à la jambe, reste en convalescence, mais son début de romance avec Henriette ne se concrétisera jamais. Maurice, lui, part en territoire non-occupé, et finit dans Paris assiégé. Silvine, la fermière, assassine son ancien amant prussien, en fait un espion et le père de son enfant, avec l'aide des francs-tireurs. Enfin, le roman se termine sur l'épisode de la commune, raconté dans les grandes lignes, avec les passages obligés (démission de Trochu, invasion de l'hôtel de ville, échec de la sortie en masse, prise des canons de Montmartre, semaine sanglante et incendie). Jean se retrouve côté versaillais et Maurice côté communard. Sur une barricade, dans la fièvre des combats, Jean blesse mortellement Maurice. Henriette et Jean se disent adieu.

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Ce livre est une vaste fresque historique, dont la première partie n'a pas grand-chose à envier à "Guerre et paix", de Tolstoï. Zola a enquêté sur les lieux, s'est largement documenté, et comme d'habitude a un sens de la composition qui confine au virtuose. Passé les premières cinquante pages un peu rebutantes, on est pris de vertige en voyant ces soldats aller à leur perte comme des victimes avançant vers l'autel.

A plusieurs reprises, on saisit des échos shakespeariens, comme ce petit-jour sale dans lequel tout le monde se réveille le lendemain, avec Vineuil, officier blessé, qui se met à délirer comme si la bataille pouvait encore être gagnée alors qu'elle est finie.

La vision des Prussiens est globalement négative : c'est un ennemi invisible et d'une organisation redoutable, qui fait garder les maisons en feu pour qu'on n'en éteigne pas l'incendie. Des machines, donc. Heureusement que Zola ménage une brève scène où l'on voit de braves soldats prussiens se reposer sur le pas d'une maison, l'un d'eux jouant avec un bébé.

De manière générale, il fallait du cran pour écrire un tel livre sur un passage de notre histoire largement occulté de la mémoire collective.

Reste la partie finale, sur la commune. Zola en a une vision largement négative, attribuant cet épisode à l'exaltation des esprits à cause de la famine et de la bêtise de l'administration versaillaise. Il dénonce l'horreur de voir des Français tuer d'autres Français et Paris brûler sous le regard froid des Prussiens. Mais cet épisode aurait nécessité un deuxième roman, et peut-être à cause de l'ampleur de la première partie, Zola devient plus schématique. Ses deux personnages principaux deviennent des archétypes, et l'agonie de Maurice vire dans le pathos et le symbolisme. Jean symbolise la France populaire du bon sens, qui respecte le principe de propriété et n'aime pas les Prussiens, tandis que Maurice symbolise la jeunesse urbaine qui s'est égarée dans l'abondance, le luxe du Second Empire. Il est dommage de voir ces deux êtres, plutôt complexes, auxquels on s'était attachés, devenir - au mieux - des victimes des propagandes versaillaises et communardes renvoyées dos à dos.

Malgré ces réserves envers la dernière partie du roman, j'estime que "La débâcle" est un Zola peu connu et exigeant, mais qui vaut la peine d'être redécouvert et cité. C'est une reconstitution historique ample et haletante dans laquelle Zola a su tisser avec incroyablement d'art tout ce qu'il avait à dire sur la défaite de 1870.
zardoz6704
8
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Créée

le 28 sept. 2014

Modifiée

le 9 oct. 2014

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zardoz6704

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