Il y a 999 défenseurs de la vertu pour un homme vertueux

(Copié-collé de ma fiche de lecture perso sur le livre)


Le contexte


Pour protester contre le gouvernement esclavagiste actuel des USA et le fait qu'il mène une guerre contre le Mexique pour acquérir le Texas, Henri David Thoreau, habitant du Massachussets dans le Nord-Est du Pays, refuse de payer un impôt. Il passera une seule nuit en prison quelques années plus tard pour cela. Il décrit dans le livre pourquoi il refuse de payer cet impôt, sa nuit en prison, sa vision de l'Etat et ses principes.


Le livre, ses idées principales


-La primauté de "principes universels" sur la constitution ou les lois. Thoreau estime, sans jamais réellement les définir, qu'il existe des principes (il parle également de conscience) qui sommeillent au fond de tout individu, et qui prévalent sur la constitution ou tout autre loi. De plus, il appelle à ce que ces grands principes triomphent même au prix le plus fort. Citation : "Ce peuple doit cesser de maintenir des hommes en esclavage et de faire la guerre au Mexique, même au prix de son existence en tant que peuple". On doit se sacrifier pour l'autre, même au prix de sa vie.


-L'importance de se dissocier de l’État (et donc de ses lois) quand celui-ci fait fausse route, au nom de ces principes supérieurs. Il appelle à ne pas se soumettre à ces lois, dans le livre l'impôt du gouvernement fédéral, et à désobéir, lorsque ces lois ne sont pas justes (dans le livre la guerre avec le Mexique et l'esclavage)
Paradoxe : il appelle à une rébellion et en même temps il dit que (citation) "ce n'est pas le devoir d'un homme de se consacrer à l’éradication des injustices mais il est au moins de son devoir de s'en laver les mains et de ne pas lui donner concrètement son soutien". La révolution telle qu'il l'explique est que chacun refuse de payer l'impôt, pour créer une sorte d'effet boule de neige par la suite. Comme on le verra plus loin, il n'imagine pas réellement le collectif, ou comment réellement changer les choses de manière concrète.
Il insiste également sur l'importance de l'action (encore une fois, simplement refuser l'impôt), et de juste ne pas se dire contre l'esclavagisme. Citations : "Comment un homme peut-il se contenter tout bonnement d'avoir une opinion et de savourer cette pensée ?" ou encore : "Il y a 999 défenseurs de la vertu pour un homme vertueux".


-L'importance de l'individualité
-> Il est à la recherche d'un homme vrai, idéal, qui n'abandonnerait pas sa citoyenneté et ses principes à des élus qui décident pour lui. Juste voter ne suffit pas, car on confie au hasard de la majorité ses idéaux et sa volonté.
Il ambitionne l'homme idéal comme quelqu'un qui ne se laisse pas dicter ce qu'il doit faire, et qui rejette les idées reçues. Ce même homme est pour lui anti-conformiste, anti-moderne, refuse le progrès technologique sans finalité et le consumérisme.
-> Il explique que le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins, qui laisse le plus de place à l'individu.
(Attention David Thoreau s'éloigne de l'anarchisme au sens où il veut toujours un gouvernement, il veut que celui-ci soit meilleur, plus moral, et qu'il accepte de laisser vivre des personnes en marge, qui ne souhaiteraient pas être soumis à cet Etat.) Il insiste également sur le fait que l'Etat découle de l'individu, l'individu est au-dessus de l'Etat selon lui.
-> Encore une fois, il insiste sur l'action d'un individu et non d'un groupe. Et que celle-ci a une valeur, même si elle n'est pas suivie par d'autres personnes. Citation : "Peu importe que les débuts d'une action soient modestes : ce qui est bien fait une fois, l'est une fois pour toutes. A nouveau, il insiste sur l'individu, qui ne doit pas attendre de constituer une majorité pour bien agir, et bien agir à n'importe quel prix, même celui d'aller en prison.


-Il évoque à demi-mot la violence au service de la désobéissance civile, et semble la justifier en partie. Citation :" Supposez même que cela doive s'accompagner de quelque effusion de sang (en parlant du refuse de payer l'impôt), quand la conscience est blessée, est-ce qu'elle ne saigne pas à sa façon ?". Henri David Thoreau évoluera petit à petit dans ses pensées. D'abord, avant cet essai, il est dans une position passive. Il ne veut simplement pas participer à cette société qui accepte l'esclavage et une guerre inutile. Puis, il prend position et dit s'affirmer contre ces institutions lorsqu'elles ne sont pas justes mais ne devient pas militant actif pour autant. Il le deviendra un peu plus plus tard lorsqu'il prendra la défense de John Brown, abolitionniste qui appellera à la révolution armée contre l'esclavage et qui assassinera plusieurs partisans esclavagistes. De fait, il croira plus à la fin de sa vie, à l'utilisation d'une violence pour mettre fin à l'esclavage.


-Il aborde également la richesse et appelle en quelque sorte à faire vœu de pauvreté. Pour lui "pour obtenir l'argent, point n'est besoin de grande vertu". L'homme riche n'irai pas bousculer l'institution, puisqu'elle lui fournit ses richesses. Le souci est selon lui que "mes voisins (...) craignent pour leurs biens et leurs familles s'ils désobéissent. (...) Dans ses conditions (...), il faut posséder très peu de choses." Pour lui, il faut donc posséder le moins pour avoir le moins à perdre et ainsi pour vraiment agir au nom du plus juste.


Notes supplémentaires


-L'importance du transcendantalisme sur Thoreau, qui permet d'expliquer son côté un peu mystique, et que les grands principes qu'il évoque coulent de source :
-> Définition Wikipedia : "Le transcendantalisme est un mouvement littéraire, spirituel, culturel et philosophique qui a émergé aux États-Unis, en Nouvelle-Angleterre, dans la première moitié du XIXe siècle.  Une des croyances fondamentales des transcendantalistes était la bonté  inhérente des humains et de la nature. Ils croyaient aussi que la  société et ses institutions — particulièrement les institutions  religieuses et les partis politiques — corrompaient la pureté de  l'humain, et qu'une véritable communauté ne pouvait être formée qu'à  partir d'individus autonomes et indépendants.'


-Aucune preuve que Thoreau a choisi d'appeler le livre "désobéissance civile", il parlait plutôt de résistance au gouvernement civil.


-Attention au rapprochement avec Gandhi et Martin Luther King, car Thoreau insiste particulièrement sur sa position personnelle, et ne fait nulle mention d'un mouvement plus important. Des gens comme Cédric Herrou se rapprochent complètement de cette pensée.


-C'est un passionné de nature. Il voulait faire un almanach de sa région de Concord. Il a beaucoup recensé de données d'espèces sauvages, de température etc... Il associe toujours une dimension métaphysique et spirituelle à ses réflexions politiques et sur la nature. Il a également été précurseur sur l'idée de faire des parcs naturels pour protéger certaines zones naturelles. Il a ainsi développé un style d’écrire particulier mélangeant factuel sur la nature et philosophie.


-Il a finalement connu peu de succès, car il n'écrivait pas de fiction, prônait la pauvreté et de posséder peu de biens, aux débuts de la société de consommation.


Avis personnel


-Les principes qu'il évoque sont fondateurs, et font toujours écho aujourd'hui. C'est profondément révolutionnaire, et c'était sûrement très avant-gardiste et visionnaire pour l'époque. Rien que pour ces idées évoquées plus haut, et cet idéal auquel il aspire, le livre mérite d'être lu.


-Cependant, on peut voir plusieurs limites à son discours :
-> On peut critiquer sa vision un peu mystique/métaphysique, inspirée du transcendantalisme qui voudrait que l'homme soit de fait bon, et qu'il puisse trouver en lui-même le juste, et les grands principes. Quand la conscience est prisonnière de préjugés, par exemple sur l'inégalité hommes/femmes, comment faire pour s'en libérer et comprendre réellement ce qui est juste ? Chaque homme doit comprend ce qui est juste au fond de lui, un peu de manière divine, mystique. Il ne prend jamais le temps de définir ces fameux principes supérieurs, considérant que tout le monde a les mêmes. Il ne se pose jamais la question si son voisin a des idéaux et une idée de la justice différente de la sienne, puisqu'il considère qu'il n'y a qu'une seule conscience unique et juste.
-> La limité de l'action individuelle, sans se soucier de l'extérieur. Citation de Michel Granger, qui fait l'introduction et le commentaire, dans le livre : "La protestation isolée n'est d'aucune efficacité quand elle ne prend pas en compte la complexité des forces politiques en présence". Il ne parle pas d'action collective, il s'attend à une sorte d'effet boule de neige, que l'action d'une personne pourrait provoquer, et ainsi peut-être provoquer un mouvement d'une plus grande ampleur. Au final, il faudra une guerre pour venir à bout du Sud esclavagiste.


-Le personnage en lui-même me pose souci à plusieurs égards :
-> Il s'engage assez peu lui-même finalement. Il a passé en tout et pour tout, une nuit en prison. Ce moment du livre est d'ailleurs un peu irritant, car il explique que cette nuit lui a changé la vie, et qu'il voit le monde différemment, notamment ses voisins. Il est à la limite de la misanthropie à ce passage du texte selon moi. Bref, on est loin de Mandela, Martin Luther King ou Gandhi.
-> Le ton moralisateur et presque prétentieux tout au long du livre. Ça sonne un peu comme quelqu'un qui aurai simplement arrêté d'acheter des brosses à dents en plastique, et qui te dit qu'il faut que tu revendes ta voiture, aille vivre dans la forêt et abandonner tous tes biens pour lutter contre le changement climatique.


-Enfin, le livre est un peu construit comme un coup de gueule. Il souffre de pas mal de répétitions et d'un vrai manque de structure.


Liens
https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/henry-david-thoreau-34-la-desobeissance-civile

Hunkydorus
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le 16 avr. 2020

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