Ce Douglas Kennedy écrit donc des best sellers, des romans de gare, dont les femmes rafollent apparemment. Prétentieux comme je suis, je n'aurais jamais été lire l'un de ses livres, sauf que l'on m'a chaudement recommandé "la Femme du Vème" : une nodule bienveillante dans les Inrocks m'a finalement convaincu. Et les 200 premières pages m'ont intrigué : j'ai essayé de me rappeler combien d'auteurs français avaient récemment aussi bien parlé du "vrai" Paris, celui des immigrés poursuivis par la police, celui aussi de la survie au bord du gouffre, loin des aphorismes confortables de la vie intellectuelle chère à nos auteurs. Je me suis dit qu'il fallait sans doute être étranger pour saisir - ou même simplement voir - cette détresse, et savoir la raconter le plus simplement du monde, ou plutôt avec ce masochisme simpliste qui fait le charme irritant de l'Amérique "moyenne". Et puis, de charybde en scylla, notre héros en pleine chute ne devenait-il pas l'équivalent moderne (lisez trivial, séculaire) des enfants martyres d'un Charles Dickens ? Mais voilà que soudain plane sur ce roman au misérabilisme réjouissant l'ombre du fantastique, un fantastique dont on apprécie d'abord l'incongruité, le choc avec l'atmosphère ultra-réaliste du récit : malgré les ficelles d'une histoire de fantôme largement éculée et prévisible, on s'attend (délicieusement) au pire... Et puis non, Kennedy se sait visiblement pas quoi faire de son sujet, se révèle terriblement incapable de créer la moindre ambiguité, tout en esquivant tout aussi lâchement l'hypothèse rationnelle qui aurait constitué une autre approche possible : ni fantastique, ni poétique, encore moins capable de faire évoluer le personnage principal, cantonné dans une impuissance finalement irritante, voici un fantôme qui ne sert à rien, n'étant ni objet de désir ni sujet de terreur ! "La femme du Vème" ne débouche sur absolument rien, aucune des pistes narratives n'étant finalement explorée, et on en retourne à l'éternelle culpabilité de l'intellectuel américain, ce qui n'est ni drôle comme chez Woody Allen, ni profond comme chez Philip Roth. Vous me direz qu'on n'en demandait pas autant, un peu de divertissement aurait fait l'affaire... Mais, même ça, c'était sans doute trop demander.


[Critique écrite en 2008]

EricDebarnot
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le 18 sept. 2014

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Eric BBYoda

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