De mémoire de lecteur de romans de chez Minuit, je ne me souviens pas avoir eu entre les mains un tel pavé. Certes, j’ai commencé à lire les auteurs de cette maison à partir du milieu des années 90. Mon tout premier livre a été Les Grandes blondes de Jean Echenoz (1995). Mais celui qui nous intéresse aujourd’hui est Laurent Mauvignier, prix Goncourt 2025 à l’unanimité générale.


Un livre qui, de prime abord, peut sembler un peu ardu. Mais une fois installé dans l’histoire, une fois que l’on s’est habitué à la petite musique et au style de Laurent Mauvignier, que l’on s’est attaché à cette écriture si riche qui nous ramène aux grands écrivains du XIXᵉ siècle (Balzac ou Zola pour n’en citer que deux), alors on peut commencer à se régaler de cette lecture, qui gagne en intensité et en beauté au fil des quatre-vingts et quelques chapitres qui composent ce livre.


Des heures de lecture passionnantes durant lesquelles on découvre, sur deux générations et même un peu plus, l’histoire d’une famille entre la fin du XIXᵉ et le début du XXᵉ siècle. Avec eux, on va traverser les deux guerres. On va apprendre à connaître Marie-Ernestine et sa fille Marguerite, les deux personnages principaux du roman, mais aussi tous les autres : Jules, Firmin, Jeanne-Marie… Des gens issus du monde rural, propriétaires terriens, exploitants agricoles, vivant dans le hameau de La Bassée, en Touraine.


Par son style, par ses tournures de phrases, par son emploi des temps, par la richesse des descriptions, la caractérisation si subtile des personnages, la beauté de l’évocation des sentiments, la manière d’aborder la violence des rapports humains au sein de cette famille avec tant de délicatesse, les drames, les rebondissements qui nourrissent le récit à un rythme régulier, les morceaux de bravoure inoubliables que constituent certaines scènes (la nuit de noces de Marguerite et Jules, ou encore la découverte de l’adultère de son mari par Madame Claude), ce roman restera gravé dans nos mémoires pendant longtemps.


Car plus que cette maison vide, dont on dira finalement peu de choses dans le récit, comparé à ce qu’il est dit de ses occupants , c’est avant tout la dramaturgie du livre, les événements banals ou tragiques qui s’y sont produits, les gens qui ont vécu là que l’on retiendra. Et avant tout Marie-Ernestine et Marguerite, la mère et la fille, deux femmes si distantes, si différentes l’une de l’autre et pourtant unie par le destin.


De ce livre, il restera des images en quantité, mais aussi des musiques, celles de Schubert ou de Bach, jouées par Marie-Ernestine sur ce piano qui revient sans cesse au fil du récit, comme un leitmotiv, presque comme un personnage à part entière.

C’est toute une galerie d’êtres réels que Laurent Mauvignier fait renaître, comme pour les offrir à la postérité et, peut-être pour tenter de comprendre peut-être le suicide de son père en 1983.


À ceux qui affirment que la littérature contemporaine ne produit plus de grandes œuvres romanesques comme ont pu en produire nos auteurs classiques, on pourra opposer des auteurs comme Pierre Lemaitre – auquel ce livre fait parfois penser– et, bien sûr, Laurent Mauvignier. Tous deux démontrent qu’une écriture ambitieuse, ample et habitée existe encore. Et l’on peut espérer que ces voix majeures, parmi d’autres, continueront de nous accompagner longtemps.

BenoitRichard
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