Pas le récit le plus connu de Balzac, pas le meilleur, pas le pire, mais pas loin d’être le plus court, la Messe de l’athée met en scène « l’illustre Desplein » (p. 32 de la – très bonne – réédition Manucius), premier maître d’Horace Bianchon, médecin attitré de la Comédie humaine, et sans doute le plus flou de ses personnages récurrents.
L’intrigue pourrait être d’un roman policier : intrigué d’apercevoir son mentor, qui « mourut, dit-on, dans l’impénitence finale où meurent malheureusement beaucoup de beaux génies, à qui Dieu puisse pardonner » (là, c’est Balzac qui parle, p. 35) assister un matin à une messe, Bianchon mène l’enquête. On se retrouve donc avec une assez longue préparation, une phase intermédiaire un peu plus courte et une chute en deux paragraphes. (C’est ce genre de structure que Barbey d’Aurevilly utilisera plus tard.)
Outre qu’on puisse être sincèrement touché par la magnanimité de Desplein – et tous ceux qui ont un jour fait un cadeau qu’ils n’auraient pas aimé qu’on leur fît mais qui plut au destinataire s’y reconnaîtront –, ce texte permet avec bonheur de nuancer un certain nombre d’analyses auxquelles donnent lieu les récits de Balzac. Pas de description massive, alors qu’une partie de l’action se déroule à Saint-Sulpice : il eût été tentant de balancer cinquante pages sur une statue de la Vierge ou sur un retable. Pas de panégyrique du catholicisme, alors que Balzac passe ordinairement pour un lustreur de bénitiers : « Dieu doit être un bon diable, il ne saurait m’en vouloir. » (p. 60), dit Desplein à Bianchon, et je ne crois pas que l’écrivain condamne – même implicitement – les propos de son personnage.
Surtout, la Messe de l’athée constitue la preuve, s’il en était besoin, que son auteur n’est pas juste un gratteur de lignes qui sait ce qu’il raconte sans chercher à savoir comment il écrit. Il y a du style dans ces trente pages : une phrase comme « Il [Bianchon] étudia les bizarreries de cette vie si occupée, les projets de cette avarice si sordide, les espérances de l’homme politique caché dans le savant ; il put prévoir les déceptions qui attendaient le seul sentiment enfoui dans ce cœur moins de bronze que bronzé. » (p. 40) offre d’incontestables richesses, y compris pour un lecteur moderne qui ne maîtrise pas toutes les nuances de vocabulaire des années 1830.
Ajout (juillet 2020). Si j’ai trouvé – et trouve toujours – Bianchon flou à ma première lecture, c’est peut-être parce que parmi les personnages récurrents de la Comédie humaine, il fait partie des moins en marge de la société. A contrario, Desplein apparaît comme un de ces hommes qu’une forme de génie exclut à demi – voir aussi, chacun à sa manière, Claes, Gobseck, Louis Lambert, Popinot, Camille Maupin… (Balzac lui-même ?)