Ecrire, c’est parfois tout ce qu’il reste à faire pour continuer de respirer.

Il y a dans ce livre un cri — mais un cri contenu, comme s’il venait de très loin, d’un endroit où les mots manquent encore d’air. La Nuit au cœur ne raconte pas, ne dénonce pas : il se souvient, il tremble, il retient. Ce n’est pas un roman sur la violence, c’est un texte sur ce qu’il en reste, sur le silence que laisse un coup, sur la nuit qui s’installe après.


Nathacha Appanah écrit avec cette clarté brûlante qu’on reconnaît entre mille. Elle ne cherche pas l’effet, elle cherche la justesse. Trois femmes, trois corps qui ont connu la peur, trois cœurs qui battent dans la même obscurité — et, au milieu d’elles, une voix qui dit « je ». C’est rare, ce je qui ne s’impose pas, qui ne s’étale pas, mais qui se tient debout, malgré tout.


Dès les premières pages, on comprend que le livre ne veut pas expliquer. Il veut ressentir. Chaque phrase est une palpitation. On y entend la course d’une jeune femme de vingt-cinq ans, « celle qui est encore en vie ». Cette simple précision suffit à faire trembler le texte tout entier : les autres, déjà, appartiennent à la nuit.


Appanah travaille la langue comme une matière organique, dense et lumineuse. Elle ne décrit pas les gestes de la violence, mais ce qu’ils détruisent de l’intérieur : la confiance, le sommeil, le regard sur soi. On avance dans le texte comme dans une forêt après l’incendie : tout est noir, et pourtant, parfois, un oiseau passe.


Il y a quelque chose d’essentiel dans la manière dont elle relie ces trois destins sans les confondre. Chacune des femmes devient un fragment de l’autre, un éclat dans une mosaïque qui ne cherche pas à être complète. Le livre n’est pas une enquête, ni un plaidoyer : c’est une prière suspendue.


Et puis, il y a cette écriture — plus proche de la musique que du récit. Des phrases brèves, éclatées, des ruptures de rythme, des images qui se brisent comme des miroirs. Appanah écrit la nuit en plein jour. Elle fait de la douleur une lumière oblique. Elle parvient à dire ce qu’on tait d’ordinaire : l’odeur du sang mêlée à celle du savon, la honte après le cri, la tendresse impossible qui survit quand même.


Certains passages sont presque illisibles, tant ils sont justes. Parce qu’on s’y reconnaît, même sans avoir vécu cela. Parce qu’elle touche à quelque chose de commun : la peur, oui, mais surtout la honte d’avoir aimé celui qui fait mal.


Dans La Nuit au cœur, la littérature devient le seul refuge possible. Le livre ne sauve pas — il console à peine —, mais il dit, enfin, que la nuit n’a pas gagné.


On referme ces pages avec le cœur en lambeaux, et une seule certitude : écrire, c’est parfois tout ce qu’il reste à faire pour continuer de respirer.

Note : 14 / 20

🔴 https://www.youtube.com/playlist?list=PL20YyCbDV6ECMvmhSuCu8WtMbVtItUgMD

Le-General
7
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le 11 oct. 2025

Critique lue 9 fois

Le-Général

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