Un écrivain voyageur. Voilà longtemps - depuis les Chroniques japonaises - que je n'avais pas emprunté les routes tapuscrites d'un plus chanceux, d'un plus audacieux, d'un plus talentueux que moi. Sylvain Tesson, dont j'avais vaguement entendu parler jusqu'à son interview au 7-9 de France Inter il y a quelques mois, précisément à la sortie de ce livre, part donc à la recherche d'un animal mythique. Accompagné de trois camarades - de trois esprits, si l'on en croit l'évanescence mystique de leurs échanges - Munier, Marie et Léo, il raconte, comme en un journal, trois semaines ardues passées à crapahuter dans les confins du Monde, dans un des derniers endroits où l'Humain se fait encore petit face à l'inviolabilité d'une forteresse de la vie sauvage : le Tibet.


Au gré des pages, on comprend que la panthère des neiges n'est pas le seul animal extraordinaire à la quête duquel est parti Tesson. L'autre bête sacrée, impénétrable et mutique, c'est Munier. Le photographe imprime à lui seul une tension au récit, rien de crispant, mais la sensation de voir évoluer dans son élément un félin d'une autre sorte. Le récit retranscrit à merveille le puissant génie sauvage qui habite le vosgien, sa science du Monde, sa douceur glacée.


S'il a bien une qualité, ce Tesson, c'est son lexique. Il fourmille, palpite, offre mille et une combinaisons pour dépeindre le décor qui l'entoure, à la fois majestueux et profondément hostile à l'Humain. Je retrouve ici un peu du verbe magique de Nicolas Bouvier, mon idole, qui puisait dans la langue française, avec un simplicité éblouissante, les expressions foisonnantes de ses impressions sensorielles.


Les mots jaillissent ici comme pour combler le vide du Monde. On sent Tesson, animal à sang chaud, à la fois émerveillé par le silence et l'impénétrabilité du Tibet et bouillonnant en son for face à tant d'aridité. Alors il pense, il spécule. A la fois verbeux, il faut bien le reconnaître, et juste. Naïf parfois, ce qui est touchant. Mais il parvient à tisser un récit étroit entre son expérience du moment et son individualité, entre ce qu'il voit et sa spiritualité, ses élans idéologiques, entre son présent et son passé. J'aime cette prouesse simple. J'y aspire même, parce que j'y vois une porte vers l'accession à soi-même. Moi qui voudrais parfois écrire, je trouve dans cette aventure une forme vers laquelle j'aimerais tendre, heureux mélange entre le dehors et le dedans.


A mi chemin du livre, l'harassant quotidien des quatre aventuriers finit tout de même par imprimer sa marque sur le lecteur. Malgré l'incroyable capacité de Tesson à décrire avec des mots toujours nouveaux, des images toujours surprenantes, l'inaltérable austérité des lieux dans lesquels il évolue, on pâtit de la répétition. On subit les stigmates de l'affût, sans guère profiter de ses bénéfices. Mais chaque apparition de la Panthère donne un nouveau souffle à cette histoire qui livre une belle et mélancolique conclusion : il n'y a rien de plus beau qu'un monde qui se meurt.


La panthère des neiges est un beau livre. Il réussit là où beaucoup d'alertes désespérées, futiles parce que rabâchées dans une société noyée sous l'information, tombent dans l'oreille vide de mes contemporains. Il réussit parce qu'il ne montre pas tant le vide qui nous attend que le plein qu'il reste à sauver. Un plein dans du vide, à -20°C et 5000 mètres au dessus du Monde, mais un plein qu'il est encore temps, si on s'y met vraiment, de reconstruire.

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le 31 mars 2020

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Fwankifaël

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