“Un idéal n'est souvent qu'une vision flamboyante de la réalité.” (Joseph Conrad)
De l’auteur Patrice Jean, j'avais lu « La vie des spectres » (2024). Comme je l’avais trouvé assez bon je me suis dirigé vers « La poursuite de l’idéal » (2021) pour compléter ma connaissance de cet écrivain dont on vante souvent la plume et à propos duquel sont faites de nombreuses filiations aux écrivains du XIXe siècle.
Et ainsi de m’apercevoir que Patrice Jean tourne toujours autour des mêmes thèmes : le temps qui passe, les illusions perdues, l’opposition à la modernité culturelle en particulier et à la nouveauté en général, la méfiance vis-à-vis du « bien » (il avoue qu’il préférera toujours un « beauf » à un « bobo »), sa haine de la bien-pensance (filiation à Philippe Muray, XXe siècle) et du panurgisme, de sa forte animosité envers « la foule abrutie » (filiation à Sénèque 1er siècle…) par les réseaux sociaux, par la télé, par l’air du temps… Ouf ! Ça en fait des obsessions ! Et j’ai dû en oublier…
Si avec « La vie des spectres » Patrice Jean avait une certaine empathie pour son héros au point de jouer la confusion entre auteur et narrateur, il en a beaucoup moins pour Cyrille son « jeune et ambitieux héros débarquant à Paris pour vivre une vie de littérature ». Avec « La poursuite de l’idéal » Patrice Jean choisit de parler avec distance de ses personnages et évite donc d’écrire à la première personne.
« La poursuite de l’idéal » est un roman ambitieux aux nombreux personnages, muni d’une écriture classique avec des morceaux de subjonctif dedans. On apprécie le cheminement de Cyrille, le héros, et ses diverses aventures : prof remplaçant, chef de rayon, employé aux contentieux, attaché culturel, scénariste. L’appréciation du roman est plus délicate lorsque l’auteur force le trait notamment pour dénoncer les intellectuels moralisateurs, les censeurs de gauche. Là on a affaire à de la caricature si chargée qu’on bascule dans le fossé.
Ça passe pour la charge générale contre les bourgeois "arrogants et incultes", contre le wokisme, contre le culte de l’apparence mais dès qu’il s’agit de personnifier ces dérives, de leur donner chair, le(s) personnage(s) tombe(nt) dans l’outrance, l’hypertrophie. Plus le roman avance et plus le roman sombre dans le pamphlet. Excepté le tout dernier chapitre.
Plus grave encore : l’auteur n’évite pas ce qu’il dénonce ; Patrice Jean reproche au monde contemporain d’être trop calculateur, trop convenu, trop formaté, mais sa propre prose bascule dans ces travers-là : ses récriminations, ses litanies, on finit par les deviner et les anticiper, elles sont attendues. Et ce n’est jamais bon signe lorsque le lecteur est en avance sur le narrateur…
Au total, un roman un peu miné par les obsessions de son auteur, par des excès caricaturaux. Un roman dont on ne peut nier l’ambition mais qui n’a pas les moyens de cette ambition. Voir aussi les longueurs de l’ouvrage, ce qui donne à penser (mais qui suis-je pour dire cela ?!) que ce roman n’a pas été assez travaillé. « La vie des spectres », roman écrit 3 ans plus tard, ne possède plus qu’en partie ces défauts.