So british comme toujours, Elizabeth George ! J’ai lu tous ses romans avec beaucoup de plaisir et cette fois encore, je reste ébahie par le talent de cette auteure de polars américaine lorsqu’il s’agit de mettre à nu les spécificités de la société anglaise contemporaine. Dans son nouveau roman – la vingtième enquête du séduisant inspecteur Thomas Linley, elle dresse un tableau plus vrai que nature d’un modeste coin d’Angleterre situé à un jet de pierre du pays de Galles : la petite ville de Ludlow, dans le Shropshire. Une bourgade banale, sans plus de problèmes que d’autres : quelques beuveries estudiantines qui parfois dégénèrent, un peu de beuh qui circule dans l’ombre, des restrictions budgétaires qui affectent le bon fonctionnement des forces de l’ordre. Cette fois, le plus aristo des inspecteurs de la Met, flanqué de son équipière le sergent Barbara Harvers, toujours aussi perspicace que gaffeuse et mal fagotée, devra enquêter sur une affaire particulièrement sordide : la mort suspecte d’un diacre placé en détention suite à une accusation de pédophilie. Un suicide qui signerait l’aveu de sa culpabilité, comme l’a conclu un peu hâtivement la police locale ? Rien n’est moins sûr, d’autant qu’à Ludlow, personne ne semble croire au bien-fondé des accusations proférées à l’encontre du diacre que tout le monde appréciait.
Comme dans ses autres romans du cycle Linley, Elizabeth George mêle habilement deux histoires. Celle de personnages récurrents : Linley, qui cherche à se reconstruire affectivement après la mort tragique de son épouse Helen ; Harvers, à qui ses prises d’initiatives intempestives ont valu pas mal de déboires. Mais surtout la commissaire Isabelle Ardery qui se débat dans les affres de l’alcoolisme, dépeintes ici avec un réalisme saisissant. Et puis, il y a l’enquête proprement dite, qui met au premier plan la dimension psychologique des protagonistes ainsi que le poids que les groupes sociaux font peser sur les individus. Elizabeth George porte un regard acéré sur la société britannique qu’elle analyse avec une précision chirurgicale, pointant le malaise des jeunes générations, la difficulté d’assumer le poids de son héritage culturel dans un pays où les communautés se côtoient sans pour autant se mélanger. Mais au fond, les problématiques évoquées sont universelles. Un des fils conducteurs de l’intrigue est l’absence de communication entre les parents (les mères surtout) animés des meilleures intentions mais pétris de certitudes et leurs enfants, grands adolescents ou jeunes adultes en quête d’identité et souvent en pleine révolte. Des jeunes qui aimeraient tant qu’on leur fasse confiance et noient leur désarroi, voire leur désespoir dans l’alcool ou la baise. Au final, une intrigue solide et complexe, pleine de faux semblants et de rebondissements qui tiennent le lecteur en haleine, doublée d’une chronique sociale des plus pertinentes offrant de notre société une image pleine de vérité et qui invite à la réflexion.