Le livre est une gageure. Presque pas de phrases, presque pas d'actions ou de dialogues, ni début ni fin, l'oeuvre se présente comme un flux continu de parole où s'entremêlent le récit et les métaphores, égrénées comme autant de repères et de leitmotivs au gré des pages.


Je ne suis pas un fanatique du Nouveau Roman. Avec Claude Simon il trouve à la fois ses lettres de noblesse mais aussi toutes ses limites. En effet, littérairement, le livre est très intéressant, entendez par là qu'il développe un habile jeu de correspondances et de liens narratifs. Par exemple, la couleur d'un détail peut amener le narrateur vers une autre pensée, la mort peut faire écho à une autre mort, autrement dit, c'est le mot qui sert de structure narrative. Cela explique ainsi la faiblesse du livre, ou du moins ce qui m'ennuie profondément, la déstructuration complète de la narration. L'histoire est heureusement résumée en quatrième de couverture car j'ai eu toutes les peines du monde à la reconstituer au sein du roman.


Et c'est bien le terme de roman, qui, dès lors, pose problème. La narration étant totalement éclipsée par un système de concordances lexicales et symboliques, on finit par plus n'y voir qu'un style, qu'un flux continu de mots et non un récit. Dommage, car l'histoire est intéressante - une histoire d'ailleurs étrangement classique, par contraste, sur fond de Seconde Guerre Mondiale, dans cette drôle de guerre où se mêlent l'horreur, la boue, le sang, métaphores récurrentes. Le passage le plus frappant est probablement cette scène où, le narrateur, fumant une cigarette se rappelle les chevaux écrasés par la boue sur le champ de bataille. Le narrrateur c'est Georges, un homme qui s'interroge sur la mort mystérieuse de son cousin. Etait-ce un meurtre, ou un suicide ? Claude Simon témoigne de son propre vécu de guerre, et mène l'enquête, recousant les fils de la mémoire, fragmentaire et fragmentée par le récit anachronologique. Par la même il exprime aussi le traumatisme de la mémoire face à la violence de la guerre, une mémoire devenue oublieuse, parcellaire, tronquée, négationniste. Le roman illustre la radicalité de la guerre dans son effacement total des bases narratives et classiques de la littérature.


Mais l'exercice, s'il est plus que pertinent, parvient de ce fait à une austérité terrible, que je conçois mais qui n'est pas plaisante à lire. Reste que La Route des Flandres est un pilier du Nouveau Roman à la fois stylistiquement remarquable et desservi par ce même style, quintessence, avec ses forces et ses faiblesses, d'un mouvement littéraire qui détonnait par son originalité et son anticonformisme. Claude Simon sera récompensé par un Prix Nobel de Littérature.

Tom_Ab
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le 2 mars 2016

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