Ha, la Stratégie Ender, roman très bon abordant avec une grande maîtrise le thème de l'enfant-soldat, dans un climat post-9/11, alors même que le livre était écrit longtemps avant la chute des deux tours. Fascinant essentiellement pour sa figure centrale, le jeune Ender Wiggin, personnage tourmenté, torturé par ces adultes pour devenir le commandant idéal de la flotte humaine, partie régler son compte à un ennemi fantomatique, loin dans les étoiles. Vous en vouliez une seconde couche ? Alors ok, remettons le couvert pour découvrir le récit du point de vue de Bean, le petit second rôle qui accompagnait Ender à la guerre.

Bean est donc considéré comme le remplaçant possible d'Ender si jamais ce dernier venait à rompre - chose plutôt entendue puisqu'à la lecture du roman le concernant, on imagine mal qu'il puisse garder sa santé mentale très longtemps. Le roman démarre dans les rues de Rotterdam, considérées comme l'antichambre de l'enfer où, Bean, armé de ses déductions logiques tirées d'analyses et d'observations sociologiques du microcosme de la misère locale, parvient à révolutionner la structure des us et coutumes de nos chers bambins ultraviolents pour les civiliser et survivre. Le tout à quatre ans. Cela dit, ce n'était qu'une broutille dans son parcours, puisqu'on nous expliquera plus tard, qu'il est parvenu à s'échapper de la clinique illégale où il est né à l'âge de... neuf mois. Rapidement, il s'avère égal - et même, à de nombreux égards - supérieur à Ender.

Et on touche là à ce qui m'a profondément déplu dans ce roman. Si Ender était très intelligent, il avait un environnement, un contexte, une épaisseur : ses liens à sa soeur, l'ambiguë relation à son frère, la motivation à partir dans l'espace, toute sa pensée était décryptée méthodiquement, au point que finalement, son intelligence n'était jamais un rempart à l'identification avec le lecteur, mais plutôt le prétexte pour le pousser de l'avant et fomenter de l'analyse des différents mécanismes qui transforment un petit garçon en soldat, puis en commandant. Mais chez Bean, rien de tout ça. Le parcours de Bean ne s'émaille pas - ou si peu, on pensera à Poke, relation émotionnelle à l'envolée qui ne tourne qu'autour du sempiternel sentiment de culpabilité devant la personne que l'on a pas protégé - de motivations. Non, Bean, dès le départ, c'est un gamin de la rue, un robot supra-intelligent dont le récit se transforme rapidement en suite d'exploits mentaux de plus en plus délirants, au point d'en devenir étouffant pour l'intrigue elle-même. Ceux qui auront eu le malheur d'avoir lu la Stratégie Ender et d'avoir pu apprécier la subtilité d'Orson Scott Card risquent d'en prendre pour leur argent : soudainement, l'univers tourne autour de Bean, les personnages - jusqu'au Colonel Graff - se rendent compte de l'importance du personnage au détriment de l'histoire qui ne décolle alors plus - ou seulement pour éclairer les zones d'ombre laissées par la Stratégie Ender.

Mais alors, pourquoi 6 ? C'est déjà plus de la moyenne pour un roman dont je donne l'impression de l'avoir haï. Parce que Ender. Parce que le personnage, lorsqu'il apparaît enfin - et même vu au travers du prisme de Bean - conserve cette aura étrange, un peu édulcorée par le regard d'un autre que l'auteur a décidé de nommer comme le plus intelligent dans une compétition de kiki qui n'intéressent personne. Et même Bean, dans la relation qu'il entretient avec Ender, paraît d'un coup plus sympathique - puisque simplement plus humain. Forcément, cela rassure. D'autant que, pour ce que le roman éclaire de zones d'ombre, c'est vrai que l'opposition entre factions ne m'avait pas apparu très clair dans le roman d'origine - mais tel n'était pas le but - et est ici explicitée. Pas absolument indispensable, mais intéressant malgré tout.


Au final, un roman en demi-teinte : intéressant par certains aspects, par l'éclairage sur l'univers, mais difficile d'accès pour le lecteur qui a déjà la Stratégie Ender derrière lui et appréciera peut-être moyennement la relecture de certains éléments-clés au profit de Bean. Lui aura, un peu comme moi, la même impression que devant un Star Wars, qu'on viole une bonne histoire pour essayer d'en composer une seconde censée nous "révéler" la face cachée... Dommage, d'autant que les mécanismes littéraires utilisées par Card pour créer le personnage de Bean ne semblent passer que très rarement par la psychologie (le personnage en étant dénué, à part quelques scènes - comme lorsqu'il tente de s'introduire dans les tuyaux d'aération, tentative désespérée de retrouver un endroit étroit et rassurant). Au contraire, Card lance même une intrigue secondaire (l'enquête de Soeur Carlotta), pour assurer le lecteur de la supériorité intellectuelle de son protagoniste principal, dans un effort désespérant d'en faire un surhomme, comme si Bean ne pouvait exister qu'en étant indubitablement supérieur à Ender... qui m'est apparu d'autant plus dispensable que cela occupe bien les deux tiers du roman, en fait, presque jusqu'à l'apparition de Wiggin. Un roman de SF certes agréable à lire, si l'on arrive à faire abstraction de l'énorme ego-trip, donc.

Note : Oui, j'ai honte de ce titre.
0eil
6
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le 29 févr. 2012

Critique lue 521 fois

0eil

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