J. G. Ballard, auteur de science-fiction connu surtout pour les adaptations au cinéma de Crash et de l'Empire du soleil, couche sur le papier, quelque temps avant de mourir d'un cancer, les souvenirs de sa vie.


Ce court livre, de moins de 300 pages en format poche, est découpé en 23 chapitres d'une dizaine de pages chacun. Comme le suggère le titre français, l'auteur ne s'attarde pas sur le contenu de ses romans. Il revient sur son parcours, donnant des aperçus, des impressions personnelles sur les époques qu'il a traversées, et des détails biographiques touchants (la mort de sa première femme et son combat pour élever ses enfants en père seul, sa tentation de l'alcoolisme, par exemple). Particularité aussi de ce garçon qui grandit dans une concession britannique à Shanghaï, et fut profondément déçu du décalage entre ce qu'il imaginait de l'Angleterre et le pays qu'il découvrir en y débarquant en 1945.


C'est aussi l'histoire du développement d'un itinéraire dans le monde de l'édition, raconté sans grand romantisme, mais avec une crudité assez honnête. D'un point de vue historique, c'est très certainement les chapitres sur l'enfance dans le Shanghaï des années 1930-1940 qui intéressera le plus l'archéologue du XXe siècle.


Le style de Ballard reste mystérieux, oscillant entre le clinique, le cinglant et l'improbable. Les titres de chapitre pourraient laisser croire à un récit historique, mais le ton reste assez littéraire et très personnel. On ne peut qu'être dérouté par certains choix que Ballard a choisi de retenir dans cette autobiographie (Allez, au hasard : les hémorroïdes de sa femme alors qu'il évoque ensuite comme la naissance de leur premier enfant l'a transformé de bonheur). Il donne cependant quelques clés de son goût pour le macabre et de son itinéraire d'auteur de science-fiction.


Synopsis
1 - L'arrivée à ShanghaÏ (1930)

Naissance le 15 nov. 1930 à l'hôpital de Shanghaï, impressions du "kaléidoscope éclatant, mais sanglant" de la ville, qui l'a durablement marqué. Les domestiques chinois, la nourrice russe, les parents invisibles, les mendiants qui meurent dans les rues, dans l'indifférence.


2 - L'invasion japonaise (1937)
L'arrivée des Japonais, qui épargnent les concessions européennes. La clôture qu'il passe pour aller jouer dans le cockpit d'un chasseur japonais abandonné. Les errances à vélo.


3 - La guerre en Europe (1939).
L'annonce de la guerre vue depuis Shanghaï, le père qui écoute attentivement la BBC. La classe du révérend Matthews qui continue, les escapades à la station balnéaire de Tsing-Tao.


4 - Mes parents.
Retour sur le parcours de James Ballard, chimiste admirateur du progrès technique. Et son épouse Edna, qui vécut bien plus longtemps. Au fonds, beaucoup de mystère demeure.


5 - L'attaque de Pearl Harbor (1941).
Aveuglement des Européens qui sous-estiment les Japonais. Examens annulés après Pearl Harbor. Rafles de la kempeitai (la Gestapo japonaise). Image des Britanniques écornée à jamais en Asie. Traversée iréelle des ruines d'un casino bombardé. En mars 43, internement au camp de Lunghua.


6 - Le camp de Lunghua (1943).
Description précise et vivante du camp de prisonniers britanniques où Ballard dut vivre avec ses parents pendant trois ans. Organisation des prisonniers (pour rétablir une école, etc...) mais conditions de plus en plus dures au fur et à mesure que la guerre avance (les rations fondent). Grand terrain de jeu pour un adolescent qui joue aux échecs, trafique des magazines avec les marins. Dangers liés à la malaria.


7 - Les échecs, l'ennui et un certain détachement (1943).
Satisfaction pour Ballard de vivre au contact de ses parents, même si leur autorité en souffre. Cyril Goldberg, le futur acteur Peter Wyndgarde.


8 - Les bombardements américains (1944).
Etonnant plaidoyer pour défendre la décision d'Harry Truman d'utiliser l'arme nucléaire sur le Japon : cela permit de mettre fin rapidement à la guerre, sinon les prisonniers comme ceux de Lunghua aurait connu un sort funeste, comme celui des prisonniers philippins. Bon. Fascination pour les Mustangs américains que l'on voit passer dans les airs. Usure du sentiment de la communauté dans le camp, tant les conditions deviennent dures.


9 - La gare (1945).
Début août 945, les gardes japonais disparaissent. Ballard part à pied pour Shanghaï. En chemin, à une gare, il voit des Japonais étrangler froidement un Chinois à l'aide de sa ceinture en celluloïd. Il retrouve sa maison, où rien n'a changé, car des officiers japonais y ont élu domicile.


10 - La fin de la guerre (1945).
La famille regagne la maison d'Amherst Avenue et reprend une vie normale. Le père décide de rester, mais Ballard rentre en Angleterre avec sa mère et sa soeur. Le père ne vient les voir que pour de courts séjours en 1947, 1950... Ce chapitre clôt la première partie.


11 - Serrer les dents (1946).
Arrivée à Southampton dans un pays couvert de gravats.Internat en lycée, puis au King's College de Cambridge. Ambiance de codes sociaux pesants. Découverte au cinéma de Carné, Cocteau, du film noir. Découverte surtout de Freud et des surréalistes. Evasion en contemplant les bases aériennes américaines tout proches.


12 - Le blues de Cambridge (1949).
Etudes d'anatomie à Cambridge, exaltant pour la recherche, désespérant pour les enseignements. Cours de dissection qui marquent son imaginaire. Ambiance de camaraderie homosexuelle.


13 - Les papes hurlants (1953).
Un an au Queen Mary College, ambiance cosmopolite. Découverte des modernistes à la Tate Gallery, mais aussi aux expositions de la National Gallery. Fascination pour l'oeuvre de Francis Bacon. Travail alimentaire de rédacteur publicitaire.


14 - Découvertes vitales (1953).
Vendeur d'encyclopédies dans les Midlands. Engagement dans la RAF à Knigsway. A l'automne 1954, séjour au Canada (Moose Jaw, Saskatchewan) et escapades aux USA. Lecture d'Astounding Science Fiction et de Fantasy & Science Fiction. Première épouse, Mary Matthews.


15 - Les miracles de la vie (1955).
Tentatives d'écriture ; Mary tombe enceinte. Elle est la seule à soutenir sa vocation d'écrivain. Premières publications de nouvelles. Rédacteur au journal scientifique Chimy & Industry. Naissance de James, sans que Ballard puisse assister : leurs filles Fay et Beatrice naîtront à la maison, avec une sage-femme. Déménagement à Shepperton.


16 - This is tomorrow (Les lendemains, 1956).
Influence d'une exposition à la Whitechapel Art Gallery, "This is Tomorrow". En 1963, succès du roman Le monde englouti. Soutien de l'éditeur Victor Gollancz. Sentiment de renaissance des années 1960. Autre éditeur, Jonathan Cape, buveur notoire.


17 - La sagesse des femmes (1964).
Vacances en Espagne, au cours de laquelle Mary meurt brutalement. Soutien de rares proches et bataille pour éduquer les enfants.


18 - La foire aux atrocités (1966).
Textes plus sombres, inspirés par cette perte brutale et le décès de Kennedy. Rassemblés dans un recueil. Dans le journal Ambit, concours de poèmes rédigés sous drogue. Figure de Chris Evans, savant rock'n roll. De Michael Moorcock, rédac'chef de New Worlds. Eduardo Paolozzi.


19 - Le temps de la guérison (1967).
Les filles grandissent et prennent en main le foyer. A nouveau en couple, avec Claire Walsh, fin des années 1960.


20 - Nouvelles sculptures (1969).
Montage d'une exposition dans un ancien entrepôt pharmaceutique, montrant trois épaves de voiture, avec une hôtesse faisant du topless. Happening le soir du vernissage. Rédaction en 1970 de Crash ! Accident deux semaines après avoir fini le roman. Bon accueil en France, mais scandale dans les pays anglo-saxons, moins habitués à la subversion érotique. Même scandale lors de la sortie du film de Cronenberg à Cannes en 1996.


21 - Déjeuners et films (1987).
Rédaction de L'empire du soleil, à partir des souvenirs de Lunghua. Rappel d'une collaboration peu glorieuse (la première pour le cinéma) en 1970, pour Quand les dinosaures dominaient le monde. Rencontre avec Spielberg pour adapter L'empire du soleil, enthousiasme devant la reconstitution qui donne l'impression de retourner dans le passé. Anecdote sur une participation au jury d'un festival où un Jules Dassin âgé et autoritaire impose ses choix.


22 - Retour à shanghaï (1991).
Retour à Shanghaï 45 ans après. Souvenirs à chaque coin de rue, mais l'influence européenne a reculé. Visite de l'ancienne maison, mais le camp de Lunghua a été recouvert par un lycée.


23 - Rentrer chez soi (2007).
Découverte de son cancer. Le livre se conclut sur un éloge de son praticien, Jonathan Waxman.

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le 10 sept. 2018

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