Mélancolie douce-amère des secrets irrattrapables

Incantation douce portée par le vent de la mémoire, ce second roman de Feurat Alani prolonge un parcours façonné par l’engagement journalistique et la quête des origines. Après avoir sillonné l’Irak en tant que grand reporter, puis sondé les blessures de l’exil dans Je me souviens de Falloujah, l’auteur troque cette fois le témoignage pour la fiction, sans pour autant s’éloigner des faits réels ni de la mémoire familiale qui l’habite.


Un oncle pilote d’exception disparu dans un ciel sans réponse et une famille traversée par les silences : autant d’ombres qui accompagnent le narrateur Taymour, élevé en France, dans son voyage vers l’Irak. Il s’y rend comme on s’approche d’un mystère ancien, les poches pleines de photographies fanées et de questions sans écho. Ce pays inconnu l’accueille avec ses cicatrices, ses murmures et ses visages comme surgis d’un rêve interrompu.


Aussi fine qu’une veine sous la peau, la voix narrative creuse patiemment les strates de la mémoire familiale, comme on exhumerait des fragments d’os dans un désert. De mots retenus en phrases suspendues entre chagrin et tendresse, l’émotion circule à voix basse, portée par une esthétique qui privilégie l’ombre et le murmure à l’évidence et à l’explication.


Sur fond de tensions politiques et de souvenirs effacés de l’Irak des années 1970, le récit suit une quête intérieure, animée par le besoin de comprendre et de faire ressurgir ce que le silence a recouvert. À travers les gestes esquissés et les réminiscences morcelées, Taymour tente de retisser les fils d’une histoire familiale éclatée.


Dans cette mémoire en clair-obscur, les femmes occupent une place essentielle. Présences discrètes, elles veillent et protègent sans bruit, transmettant par leur silence une langue ancienne, faite de regards et de vérités enfouies. Cette parole muette nourrit la narration, révélant tout ce que les mots seuls ne peuvent contenir.


Feurat Alani déploie une écriture sensible, capable de faire dialoguer le réel avec l’imaginaire, l’intime avec l’histoire. La fiction ouvre une brèche où l’amour, la perte et la mémoire s’entrelacent dans une lumière fragile. Sous ce ciel immense, les vivants frôlent les absents, et la littérature, portée par le répons des souvenirs, se fait espace de transmission et de réparation.

Une lecture prenante et touchante qui vous enveloppe, puis vous quitte sans bruit, dans la mélancolie douce-amère des secrets irrattrapables.


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