Un Maupassant primitif qui mérite le détour

Dans cette oeuvre posthume qui est la “dernière” publiée tout en étant la deuxième écrite par le jeune écrivain, on découvre un Maupassant primitif tout à fait original. Un vrai pastiche des contes philosophiques du XVIIIe, qui relate en une trentaine de chapitres courts (à la Rabelais, pour le coup) les aventures d’Héraclius Gloss, savant autodidacte persuadé d’avoir compris le sens de la vie dans un livre traitant de la métempsychose - c'est-à-dire de la réincarnation de l'âme sous une nouvelle forme animale - chez Pythagore.

L’écrivain de ce livre prétend avoir eu dix-sept vies, dont l'une en tant que Pythagore lui-même. Les multiples réincarnations dans des enveloppes humaines seraient entrecoupées par des expériences de purification dans la peau d’animaux... En toute logique, Gloss comprend qu’il doit respecter tous les animaux, car ils possèdent en eux les âmes des hommes “en purgation”. Le singe étant la forme animale la plus proche de l’homme, l’ultime réincarnation du cycle de rédemption, il adopte un chimpanzé, qui régnera vite en maître dans la maison du docteur.

Ayant trouvé en ce livre le sens à la vie, le Dr Gloss parti aussitôt à la recherche de son auteur visionnaire. Immanquablement, il en vient à penser que, poussé par le destin à retrouver ce livre, c’est lui-même qui l’a écrit, dans l’une de ses vies précédentes: lui, Héraclius Gloss, est la dernière vie en date du grand Pythagore... Tout cela le mène à une folie des grandeurs aux épisodes alternant le loufoque et le pathétique.

Outre pour son pastiche et son comique, je recommande chaudement ce gros conte en 30 parties pour les réflexions qui, à la Voltaire, jalonnent le récit, et ausi pour les éclairs de retour au réel dont la crudité ressort d’autant plus qu’ils sont rares. Je pense en particulier à la scène de la cruauté du groupe des enfants, aux descriptions de la dureté des conditions de l’hôpital psychiatrique ou aux diverses scènes de violence sur les animaux. Ces scènes annoncent derrière le ton burlesque général du conte l’acuité corrosive des descriptions réalistes que Maupassant va déployer en maître dans ses récits ultérieurs.