... Ou la conversion à l'hétérosexualité (pour une morale du plaisir).

Conversion, du latin conuerto "tourner", est un terme dont les connotations religieuses sont évidentes, et aussi prégnantes au XXIe siècle qu'au XVIIIe. Une conversion implique un retour à la sagesse, à la morale chrétienne, à la tempérance après des débordements de vice, de péchés. Pourtant, dans Le Doctorat impromptu, point de cela : la "conversion" qu'éprouvent Erosie (notre héroïne au nom plus qu'évocateur), et son futur-ex-amant, Solange (le mec a rien compris, il a un nom de meuf, et en plus un nom beaucoup plus sage que ses actes, le coquinou) n'est pas morale et encore moins chrétienne... Il s'agit simplement d'une inversion dans la manière d'assouvir ses pulsions sexuelles : de l'homosexualité de ceux qui craignent ou ne peuvent obtenir le sexe opposé, à l'hétérosexualité de la révélation d'un parfait emboîtement physique. (Ben si, hein, le fond du problème est là.)


Parce qu'à aucun moment Nerciat ne nous parle de morale et d'abstinence. D'ailleurs, blâme-t-il sérieusement le lesbianisme, la sodomie... ? Non, pas plus qu'il ne blâme l'utilisation des godemichés, la pédophilie, ou la double-péné. Eh oui, ces trois pratiques sont présentes dans le petit roman. Ou plutôt... Il peut les critiquer, à travers la figure du très pervers abbé Cudard, mais sans que soit jamais remis en question le plaisir que peuvent fournir ces pratiques, comme la fin de l'histoire nous l'apprend. Il y a différentes manières d'aboutir au plaisir ; mais toutes y aboutissent, une fois surmontés les dégoûts, les préjugés, les justes hontes.


Ainsi, si Nerciat - dont, soit dit en passant, l'écriture est absolument magistrale avec nombre de périphrases et métaphores aussi alambiquées que significatives pour décrire les scènes érotiques - construit son roman sur la conversion parallèle de deux jeunes amants à l'hétérosexualité, il n'en parle pas moins avec bonheur de la relation sensuelle et amoureuse d'Erosie avec Juliette ; c'est un roman épistolaire, la première écrit à la seconde, pour se repentir de sa conversion, lui jurer fidélité, et légitimer en même temps son amour pour les hommes après une misandrie malheureuse. Difficile en somme de définir avec certitude où veut en venir l'auteur. On voit, cependant, et assez tristement, que le vit est érigé en Saint-Graal pour les plaisirs féminins, et que l'indépendance féminine (parler de misandrie est plutôt remarquable en ce temps) est toute relative, puisque même avant la découverte de l'homme, on fait l'amour avec des simulacres phalliques. D'un autre côté, on entend une voix féminine, qui pose l'homme en une catégorie, et dont l'identité, une fois la conversion effectuée, importe assez peu. Bref, on le voit, le propos est assez subtil, et assez passionnant. Les mecs en prennent pas mal pour leur grade, et bien que la voix du beau Solange se fasse également entendre, il ne fait aucun doute qu'Erosie garde l'ascendant sur lui, et qu'elle n'est pas, elle, une femme parmi d'autres, ou pour mieux dire : un trou. Le parallèle entre les deux histoires a donc ses limites, et l'amour du jeune homme est réservé à la gent féminine, tandis que l'amour de la jeune femme ne fait qu'effleurer la gent masculine.


Mais trêve de débats métaphysiques, il me semble avoir fait le tour des analyses de l'amour et du plaisir dans Le Doctorat impromptu. Cette conversion est aussi un apprentissage, celui de l'hétérosexualité, comme le dit le titre ; un apprentissage qui n'annule pas ce qui précède, mais qui l'enrichit d'une nouvelle expérience. Vivre le plus possible, sans fermer de portes, peut-être est-ce là la vraie sagesse défendue par Nerciat. Et puis, il faut bien le dire, ce livre est délicieux à lire, pas tant qu'il soit vraiment excitant, mais plutôt pour le ton piquant et diablement malin d'Erosie, et la qualité littéraire du texte, très bien construit et maîtrisé de bout en bout. Dédicace aux prolepses drôles et ingénieuses du faux éditeur/vrai auteur, qui donnent encore plus de substance au récit en ajoutant une sorte d'intéressant suspense. Un petit sort à la chute : franchement, la morale, ici, ne peut être que celle du plaisir... pour une femme qui trompe deux fois son fiancé avant de l'avoir rencontré, dans sa demeure même !


Je vous recommande donc chaudement ce petit ouvrage de 70 pages tout au plus.

Eggdoll

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