Si je n'ai pas le prix Nobel avec ce titre-là, c'est que le monde est trop injuste.


Or un monde injuste, c'est exactement ce qui, dans ce Journal Secret, attend celle sans qui Twin Peaks ne serait jamais arrivé, de ses douze ans à son seizième anniversaire.


Lentement, au fil des pages, la petite Laura innocente et pleine d'espoirs bascule dans la nuit, les bois - et, au-delà, le feu -, sous le regard impénétrable des hibous-qui-ne-sont-pas-ce-qu'ils-sont.


Violence, sexe, drogues : le quotidien sans concession d'une presque-femme qui a grandi trop vite et qui s'est perdue en chemin, faute de repères - trop intelligente, trop sensible, trop belle, trop seule, Laura cherche désespérément celui ou celle qui la rassurera, qui lui résistera, qui la ramènera vers la lumière, alors-même qu'elle détruit tout ce qu'elle touche, avec pertes et fracas.


Le texte, on s'en doute, est déchirant - car déchiré. Il fait sien les tourments de ce personnage ne sachant rêver que de ce qui lui fait mal pour proposer le portrait plus vrai que nature (éminemment féministe, mais pour de vrai) d'une jeune femme écartelée entre ses désirs et ce que la société attend d'elle, entre le regard de l'autre (de l'homme, principalement) et ce qui brûle tout au fond d'elle - au point, sans doute, qu'au-delà de la radicalité de son contenu, beaucoup de lectrices se reconnaîtront en elle, dans une moindre (on leur souhaite) mesure.


Hélas, après l'excellente surprise que fut l'Autobiographie de Dale Cooper, ce Journal Secret de Laura Palmer n'en déçoit que davantage.


S'il reste une extension de qualité, apportant un peu plus d'épaisseur à certains personnages (Bobby, Léo, Jacques), il n'apprend rien sur Laura que nous ne sachions déjà par cœur : en quelques phrases elliptiques, placées dans la bouche du bon personnage au bon moment, la série en disait tout autant, et avec ô combien plus de finesse, si bien qu'on enchaîne les entrées en se demandant quand, enfin, le livre va nous apporter quelque chose de neuf. En vain.


Plutôt que de s'en servir de prétexte pour aborder Twin Peaks "de l'intérieur", la fille du réalisateur se contente de rester dans sa zone de confort, émaillant son récit de références forcées, artificielles, mais sans jamais les exploiter vraiment. En lieu et place, elle ne cesse d'en revenir aux mêmes propos, encore et encore et encore, une fois, deux fois, mille fois, au point que l'ensemble tourne en boucle dès les toutes premières pages et que la lecture s'en trouve alourdie en conséquence. De la même façon, le style peine à convaincre car bien que la rédaction de ce journal s'étale sur quatre ans (du moins le prétend-on), on ne note guère d'évolution dans l'écriture qui, si elle correspond bien à ce qu'on attendrait d'une jeune fille de quinze-seize ans, manque de crédibilité quand il s'agit d'en feindre douze. Sans doute n'est-ce d'ailleurs pas un mal, car il y a quelque chose de profondément malsain à s'appesantir ainsi, en les érotisant (peu, mais suffisamment), sur les expériences sexuelles d'une fillette à peine sortie de l'enfance - surtout quand, à plus forte raison, le spectre de l'abus et des maltraitances se profile en filigrane.


Pour toutes ces raisons, ce Journal Secret ne peut exister indépendamment de la série auquel il se rapporte : il ne propose aucune progression autre que chronologique, ne développe aucun enjeu qui lui soit propre, s'entête à ne proposer que des variations sur un même thème, fantasme après fantasme, avec une violence morale telle qu'on pourra y voir de la complaisance, parfois. Alors qu'il aurait pu permettre d'ouvrir de nouvelles portes, il se contente de tenir en haleine le lecteur en lui promettant, peut-être, s'il est bien sage, de lui en révéler plus sur BOB - ce que, bien sûr, il ne fera jamais. Arrivé à la fin de l'ouvrage, on ne verra pas Laura sous un jour nouveau, non plus que ce qui lui est arrivé, mais on en connaîtra tous les détails, des plus anecdotiques aux plus scabreux.


Laborieux, mais sincère, le récit de Jennifer Lynch apporte toutefois sa pierre à l'édifice et saura satisfaire le fan le plus accro - et par conséquent le plus indulgent.


Les autres pourront passer leur chemin sans regret - à condition de ne pas couper par les bois, car qui sait quelles ténèbres peuvent nous y guetter, à la tombée de la nuit ?


Si ce n'est, évidemment, Laura Palmer.

Liehd
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les gens se remettront à lire... peut-être.

Créée

le 18 mars 2018

Critique lue 333 fois

2 j'aime

Liehd

Écrit par

Critique lue 333 fois

2

D'autres avis sur Le Journal secret de Laura Palmer

Le Journal secret de Laura Palmer
BlueKey
8

Critique de Le Journal secret de Laura Palmer par BlueKey

En 1991, la saison 1 de Twin Peaks fait l’effet d’une bombe. Les deux créateurs, Mark Frost et David Lynch, proposent à la fille de ce-dernier, de se mettre dans la peau de Laura Palmer pour écrire...

le 29 déc. 2016

9 j'aime

Le Journal secret de Laura Palmer
Eltreum
8

On en voudrait plus souvent de ces dérivés de qualité

Ce spin-off de Twin Peaks est le fameux journal de la mystérieuse Laura Palmer au cœur de l'intrigue de sa vie à sa mort. Cela donne la chair de poule une telle maitrise du personnage par rien que la...

le 11 avr. 2014

3 j'aime

Le Journal secret de Laura Palmer
Moizi
4

Bâtard

Je ne sais pas trop quoi penser de ce produit dérivé de la série Twin Peaks... à vrai dire je ne lis d'habitude jamais ce genre de truc, il peut m'arriver de lire un livre adapté en film, mais...

le 12 juil. 2020

2 j'aime

Du même critique

Black Mirror
Liehd
5

En un miroir explicitement

Avant d'appréhender une oeuvre comme Black Mirror, il convient de se poser la question qui fâche : pourquoi un auteur se pique-t-il de faire de l'anticipation ? Réponse : parce que c'est un genre "à...

le 7 mars 2016

104 j'aime

37

Coherence
Liehd
8

C'est dans la boîte !

Leçon de physique quantique, appliquée au cinéma : L'expérience est simple. Enfermez huit acteurs de seconde zone, cinq nuits d'affilée, dans votre pavillon de banlieue, isolez-les de l'extérieur,...

le 19 mai 2015

101 j'aime

Andor
Liehd
9

Le Syndrome Candy Crush

Puisqu'on est entre nous, j'ai un aveu à vous faire : au départ, je ne voulais pas regarder Andor. Après avoir tourné la page Obi Wan, et usé de toute ma bienveillance partisane à lui trouver des...

le 31 oct. 2022

93 j'aime

26