L’un des ouvrages les plus connus d’Oscar Wilde est également un curieux récit : à la fois ouvrage philosophie et fantastique, le seul roman de l’écrivain irlandais à de quoi dérouter. En effet, si les passages narratifs sont plutôt sympathiques, certaines digressions philosophiques sur l’hédonisme sont parfois un peu difficiles à suivre. Quant à l’hommage au A rebours de Joris-Karl Huysmans du chapitre XI, il est à la limite de l’indigeste, dans son soucis de faire un inventaire quasi exhaustif des merveilles de joyaux, tentures et objets d’art que collectionne le héros. Les thèmes du plaisir, de la morale, de l’art et de la jeunesse sont assez souvent reprit, l’auteur incluant de façon assez claire ses opinions par la voix de Lord Harry.
Pour rappel, l’histoire part d’un tableau criant de réalisme qu’un peintre réalise de son jeune, beau et innocent model, modèle que Lord Henry, ami du peintre, va s’amuser à heurter à la réalité de sa beauté. Dès lors, le jeune Dorian Gray, jaloux de l’éternelle beauté de son portrait, fait le vœu que celui-ci supporte les affres du temps qui passe à sa place. Lentement corrompu par les propos libertins de Lord Henry, Dorian Gray va s’enfoncer peu à peu dans la déchéance morale, poussant au suicide une jeune actrice auquel il avait promis le mariage avant de la repousser, et physique, aidé en cela par le cadeau empoisonné de son ami, un exemplaire du A Rebours de Huysmans auquel le héros va de suite s’identifier. Et comme prévu par le vœu, le tableau s’enlaidit du poids conjoint du temps qui passe et de celui des pêchés tandis que Dorian Gray reste visiblement pur.
A mon sens, une phrase représente bien la morale de Dorian Gray.
Tout son malheur était dû à cela ! N’eût-il pas mieux valu que chaque péché de sa vie apportât avec lui sa rapide et sûre punition ! Il y a une purification dans le châtiment. La prière de l’homme à un Dieu juste devrait être, non pas : « Pardonnez-nous nos péchés ! » Mais : « Frappez-nous pour nos iniquités ! »...
Elle me fait un peu penser à celle de l’Homme Invisible, de H.G. Wells. Ainsi, Dorian Gray n’a pas a se soucier du poids de ses péchés ou de ses remords, son « double » supportant la déchéance liée à ceux-ci. On notera aussi une certaine réflexion sur le poids de la beauté et des apparences dans la société : Dorian Gray a beau avoir une certaine éducation, c’est sa beauté (et sa richesse) qui magnétise ceux qui croise, dans la limite du poids de sa morale douteuse. Ainsi, bien qu’il n’en porte trace, il a tendance à faire plonger dans la honte et l’ignominie ceux qui le fréquente trop, et finit cependant fuit de la majorité de ces anciens amis. Quant à ses efforts pour paraitre bons et racheter ses errances passées, elles sont aussi maladroites qu’hypocrite, et tout à fait dénuées d’effet positif. Une certaine morale dans un roman immoral ?
En résumé, un classique assez touffu et pas forcément très abordable sur certaines parties, mais qui a le mérite d’être une bonne réflexion, servie par les aphorismes d’Oscar Wilde, dont le fameux « le seul moyen de vaincre une tentation, c’est d’y céder ».