Le Prince
7.7
Le Prince

livre de Nicolas Machiavel (1532)

Le Prince : Machiavel , Juan Branco , Gilets jaunes et flash- balls.

Il ne s'agit malheureusement pas du titre d'un roman policier de Charles Exbrayat.


Un jeune philosophe assez brillant : Juan Branco a esquissé une critique percutante de la façon dont le président français actuel est arrivé au pouvoir , entre autres porté par quelques amis du Cac40 et des médias puissants qui en dépendent largement eux mêmes .


Cependant , Monsieur Branco , à l'heure de la crise des Gilets jaunes exprime également une pensée de type révolutionnaire dans la mesure où il légitime la violence dans le processus politique et en l'occurrence dans la crise des gilets jaunes .


On le sait , Lénine s'est inspiré de sa connaissance de la Révolution française et de sa Terreur pour justifier lui même la "terreur rouge" dans la Russie révolutionnaire .


Monsieur Branco souhaite lui aussi "terroriser" le pouvoir en place non pas comme en 1793 ou en 1917 pour consolider une révolution ou empêcher le retour des pouvoirs en place , mais pour que le président et son entourage "aient peur physiquement" et que cela les pousse à adopter de mesures .


Pour étayer sa thèse , il précise que le président a effectivement "concrètement eu peur" en allant au Puy en Velay ( préfecture incendiée ) et que cela a été le déclencheur de son allocution du 10 décembre 2018 et des mesures qui ont suivi.


De même , les patrons et notamment le Médef auraient été effrayés et auraient ainsi poussé à verser cette prime à certains salariés , d'autant moins contraignante que beaucoup de "leurs" salariés travaillent à l'étranger .


Il y a donc l'idée bien connue que seule "la lutte des classes" permet des acquis sociaux et "secoue l'inertie des dominants ".


Monsieur Branco a ajouté dans l'émission radiophonique les "Grandes Gueules" que c'est d'ailleurs selon lui le pouvoir politique qui est responsable de cette violence .


Il explique également que les hommes politiques ne sont pas "assez responsabilisés" à la différence certes de la révolution où nombre de grands révolutionnaires -avocats - orateurs tels Robespierre , Camille Desmoulins ou Danton ont fini guillotinés.


Je viens d'apprendre aujourd'hui dans le même ordre d'idées que monsieur Besancenot appelle à la grève générale ( le "grand soir révolutionnaire" ) un peu comme en mai 1968 , le mardi 5 février prochain.


Dans le même esprit , si je puis dire .. Monsieur Toubon , le Défenseur des droits a appelé la police a ne plus utiliser les flash-balls ( le 20 janvier un jeune homme de Rennes a perdu un oeil).


On l'a bien compris , il n'est question depuis le début que de la" fin et des moyens" .


Une question majeure se pose donc , la violence peut -elle être légitime dans les processus politiques ?


Il y a deux grandes façons pour la fin de justifier les moyens : celle de Machiavel et celle de Kant .


En 1513 Nicolas Machiavel écrit son ouvrage qui deviendra célèbre : le Prince . Il fut publié en 1532 et fut très largement apprécié par la suite ,comme illustrant par la suite une espèce de "pragmatisme décomplexé". Après tout , Platon ne disait - il pas lui même "un homme intelligent est un homme qui s'adapte" ?


Pendant la Seconde Guerre Mondiale la question de l'emploi de la violence et des attentats s'est posée dans la résistance française . On peut voir sur you tube , une intervention filmée et enregistrée du Général de Gaulle qui invite à ne pas faire d'attentats notamment pour éviter les représailles féroces des Allemands et à poursuivre plutôt la résistance et préparer la débarquement par d'autres moyens . Il visait notamment le parti communiste français qui multipliait de façon" révolutionnaire " les attentats .


Emmanuel Kant s'est opposé à Machiavel .


Pour Machiavel , une fin , bonne ou mauvaise justifie des moyens mêmes mauvais , c'est à dire "même objectivement immoraux".


Pour Kant au contraire , on ne peut pas déconnecter ni la fin , ni les moyens d'une morale éclairée ( il est un homme du siècle des Lumières à l'allemande .."Aufklärung" ) .


Dit autrement , l'opportunité dans l'action politique , l'esprit d'adaptation y compris transgressive et audacieuse en politique ( la résistance permet de faire sauter des ponts et dynamiter des voies de chemin de fer .. ou de repenser l'après guerre .; ) n'est pas l'opportunisme . Il semble d'ailleurs que certains restent séduits par un opportunisme à la petite semaine ...


Il faut d'ailleurs préciser que le contexte de 1789 est fort différent de celui de janvier 2019 .


En 1789 , le grand débat n'a pas commencé avec la rédaction des "cahiers de doléances" . D'une certaine façon , tout le 18 ème siècle des Lumières en France a été "un grand débat" avec Voltaire , Diderot , Rousseau , l'abbé Sièyès .. tous issus du Tiers Etat , mais aussi Montesquieu et beaucoup d'autres .


La Révolution française a certes déconstruit au sens de Derrida , mais elle a aussi immensément reconstruit : elle avait "dans ses cartons" beaucoup de projets : la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen d'Août 1789 , l'unification des poids et mesures , le redécoupage administratif ( la France de l'Ancien Régime était beaucoup plus enchevêtrée que celle actuelle du "mille feuille administratif) et beaucoup d'autres mesures encore ..


Certaines questions brûlantes étaient également mieux posées en 1789 qu'en janvier 2019 : par exemple celle des inégalités de revenu . Déjà le cardinal de Richelieu à l'époque de Louis XIII envisageait une réforme de la fiscalité .


Aujourd'hui on pointe l'écart grandissant entre les plus hauts et les plus bas revenus . On vient aussi d'évoquer le fait que les "26 milliardaires les plus riches" avaient un patrimoine( professionnel et personnel ) équivalent à celui de la moitié de la population mondiale .


Le parti communiste propose de réduire l'écart entre les revenus de 1 à 20. Mais 1 à 20 ou
1 à 30 ? La question de fond ne serait- elle pas : à partir de quel moment et pour quels critères un revenu devient indécent par le haut et que faut-il pour avoir un salaire décent "par le bas" ? ( et pas forcément proposer comme certains une hausse du SMIC à 1800 euros nets ) .


De même , en 1789 , l'idée de République , de "chose commune" , Res Publica , avait déjà bien fait son chemin .


Autrement dit "la fin" .. la finalité . Or si comme le disait Boileau " ce qui conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément" , les moyens ne peuvent de même ne justifier qu'une fin élaborée , pensée. bien conçue.


Ainsi le Général de Gaulle a commencé à penser son projet de réformes des institutions dès la années 1930 , bien avant la mise en place de la Cinquième République en 1958 . Qu'en est -il de Monsieur Mélenchon et de son projet de VI ème République ? Qu'elle fin et par quels moyens ?


Il ne suffit donc pas de dire qu'il "y a "une crise de la représentativité politique " ou que "les élites sont coupées du peuple " , il ne suffit pas de déconstruire , il faut aussi un projet solide , une fin et pas au sens de Machiavel !


A travers les arguments de Monsieur Branco apparaît ainsi un autre trait du machiavélisme : non seulement une plasticité douteuse qui n'est pas de la réelle adaptation , une adaptation au Sens de l'Histoire selon Hégel , plasticité qu'on retrouve dans le machiavélisme


mais au fond ce qui n'est que la "même chose autrement" , la rigidité d'un jeune idéologue qui veut faire "plier le réel" pour l'adapter de force à ses théories , un peu comme on voudrait forcer une serrure avec une clé non prévue pour elle . Ainsi l'intolérance n'est pas l'intransigeance ou la fermeté d'une pensée.


On peut lui concéder que Monsieur Macron n'est pas Napoléon . Le second avait vingt ans en 1789 , et il a été avec son frère Lucien , un des acteurs de la révolution (siège de Toulon... ) dans la mouvance de Robespierre .


Autrement au moment où Napoléon arrive au pouvoir en tant qu'empereur , les "pulsions révolutionnaires se sont déjà bien exprimées" . La "longue patience du peuple" selon les mots de l'historienne Sophie Wahnich elle aussi a pu rencontrer le souffle des réformes révolutionnaires .


En janvier 2019 , les pulsions révolutionnaires ne se sont pas vraiment exprimées depuis mai 1968 , un demi siècle ! et malheureusement pour nous tous , le contexte choisi pour débattre n'est pas le plus favorable : il eut mieux valu que cela ait lieu à l'occasion de la campagne présidentielle au lieu de nous occuper l'esprit avec les costumes de Monsieur Fillon . On eut préféré de l'utile à du futile .


Monsieur Branco dit que les hommes politiques ne risquent pas grand chose physiquement , mais lui même ? Jeune avocat normalien ?


Ces idées , certes pour non majoritaires qu'elles soient , ne le mettent malgré tout pas dans la situation des dissidents russes tels Vladimir Boukovsky en son temps( " et le vent reprend ses tours" ) , Anna Politovskaïa ou Alexeï Navalny aujourd'hui .


Il ne risque pas l'exil en Suisse forcé comme Lénine ou plus ou moins volontaire comme Voltaire ou la prison comme les cyber dissidents chinois ou Liu Xiaobo ou tant d'autres ..


Il semble malheureusement que l'aventure proposée par le Prince , malgré tous ceux qu'il fascine encore aujourd'hui , soit surtout de l'aventurisme au fond quelque chose de déjà existentiel , un peu avec l'étrange fascination d'une espèce de vêtement "multifonctions " en politique , un peu ce que Voltaire disait déjà de l'Encyclopédie : un vêtement d'arlequin avec de bons et de mauvais morceaux .


Monsieur Branco est certes brillant et on voit bien qu'il fascinait madame Polony dans l'entretien qu'elle avait avec lui , mais la crise politique grave des gilets jaunes doit dépasser tant les fascinations que les attirances pour une espèce de machiavélisme de nouvelle génération.

Créée

le 23 janv. 2019

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